Bibliothérapie, quand les livres nous prennent dans leurs bras, par Régine Detambel

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

Bibliothérapie, quand les livres nous prennent dans leurs bras, par Régine Detambel
Les livres prennent soin de nous : pour une bibliothérapie créative, par Régine Detambel

Quelques extraits et citations tirés de cet ouvrage hautement recommandable, pas du tout une liste de livres à lire à mettre à toutes les sauces du malheur, comme des cataplasmes remèdes qu'il est bon d'appliquer sur nos plaies d'Européens bien nourris (mon cas) quand tout va mal, mais une analyse fine des phénomènes mentaux à l'oeuvre dans l'acte créateur de la lecture

« Les livres ont toujours été accueillants aux exilés. Nous sommes nombreux à avoir usé et abusé de l’hospitalité de la lecture, de son caractère englobant, maternant. Lire est un moyen de résister à l’exclusion, à l’oppression. Dans « Éloge de la lecture », l’anthropologue Michèle Petit explique que lire est un moyen de « reconquérir une position de sujet, au lieu d’être seulement objet des discours des autres ». Les histoires réparent ; dans un livre, on est toujours chez soi. »

« Un livre est donc cela : un cérémonial de guérison magique. D’ailleurs, quelque chose qui détermine en vous un changement profond, dans un choc presque physique, un frisson d’excitation qui dilate votre sensibilité à tel point que vous vous mettez à observer les objets familiers comme si vous les voyiez pour la première fois, ne peut être que magique. Le mot n’est pas trop fort car Sigmund Freud lui même établit ainsi l’action du mot comme outil essentiel du traitement psychique : « le profane trouvera sans doute difficilement concevable que des troubles morbides du corps ou de l’âme puissent être dissipés par la simple parole du médecin. Il pensera qu’on lui demande de croire à de la magie. En quoi il n’a pas tout à fait tort : les mots de nos discours quotidiens ne sont rien d’autre que magie décolorée ».
Lire est donc expérimenter la rencontre formidable entre la force langagière qui n’est plus abandonnée aux magiciens, aux prêtres, et le lieu d’expression primordiale de cette force, le livre. »

« Aristote, dans sa Poétique, définit ainsi la catharsis : par le langage, une personne peut communiquer des affects à une autre personne, l’influencer, la convaincre, l’émouvoir… De la parole de l’autre peuvent naître chagrin, terreur, joie, angoisse, enthousiasme. Tout comme la tragédie, la lecture donne accès aux mêmes émotions que « la vraie vie »… Cette propriété cathartique est l’un des pouvoirs thérapeutiques du livre. Par les modifications psychiques qu’il suscite, le livre peut offrir une « sécurité émotionnelle ».

« L’art thérapeute ou le médiateur artistique accompagne la personne en désarroi physique, mental, social, existentiel, pour l’aider à trouver en elle cette force qui lui permet de passer de la position d’objet du malheur à celle de sujet d’une réalisation artistique qui va se nourrir de cette épreuve », dit l’art thérapeute Patrick Laurin (sur la maladie d'Alzheimer). »

« Les 40 pages d’un chapitre sont un contenant, une limite heureuse pour nos vies qui s’effilochent. Les cases régulières de la bd sont de petites alvéoles rassurantes, réparatrices, où se lover et se réconcilier avec le calme pendant que le vent souffle dehors. Là dedans la vie continue, une vie sans cahots et sans déchirures. Mario Vargas Llosa, recevant le prix Nobel, a dit combien la littérature « nous dédommage des revers et des frustrations que nous inflige la vie véritable et grâce à elle nous déchiffrons, du moins partiellement, ce hiéroglyphe qu’est souvent l’existence pour la grande majorité des êtres humains »

« Michèle Petit : « La lecture relance une activité de symbolisation, et sans doute est-ce là l’essentiel. Un texte peut être l’occasion de renouveler, de recomposer les représentations que l’on a de sa propre histoire, de son monde intérieur, de son lien au monde extérieur. »

« Une demie page suffit à tout chambouler. Une image forte, c'est-à-dire une métaphore, un transport d’émotion, permet de donner sens à une tragédie tout en évitant qu’elle soit évoquée directement, de transformer des vécus douloureux, d’élaborer la perte comme de rétablir des liens sociaux (M. P., l’Art de lire) ».

« Dans le livre, l’ordre du récit répare le chaos de la vie. Laure Adler l’affirme dans un beau récit autobiographique très justement interrogé par l’anthropologue de la lecture Michèle Petit. Celle qui vient de subir la perte d’un fils en témoigne avec force : « si je ne me suis pas tuée, c’est que je suis tombée par hasard sur « Un barrage contre le Pacifique », de Marguerite Duras. Ce roman, « substituant sont temps au mien, l’ordre du récit au chaos de ma vie, m’a aidée à reprendre souffle et à envisager le lendemain. La détermination sauvage, l’intelligence de l’amour manifestés par la jeune fille du barrage y furent sans doute pour beaucoup », explique t elle.

« L’essentiel est tout de même d’être réveillé par un livre. Après des heures de somnolence sur son sofa, à cause de la fièvre, l’hiver 1904, Kafka dolent écrivit pourtant à son ami O. Pollak : « on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent… Nous avons besoin de livres qui agissent sur nous, un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous » Est-ce une coïncidence si Thomas Bernard, malade chronique, lui aussi des poumons, fait l’apologie du livre qui secoue et ranime. « Lisez donc mes livres, c’est un amoncellement de millions de chocs. » Le négatif est également très épanouissant !  Les génies mélancoliques, les semeurs de merde, les Cioran, les Thomas Bernhard, qu’on ne me fasse pas croire qu’ils n’ont aucun effet roboratif ! Or on ne peut guère être choqué par des livres qui ne sont que stéréotypes, phrases convenues… On ne peut être ranimé par des livres blancs, lisses, gommés, comme le dit Michel Serres. Il vaut mieux éviter le blanc si l’on veut être un lecteur actif, développant un travail psychique, renouant un lien avec ce qui le constitue. On ne reconstruit pas une représentation de soi avec le blanc. Pour que la lecture recrée une aire transitionnelle entre l’intériorité souffrante et le monde extérieur, il y faut des matériaux solides, épais, terribles, auxquels on puisse se confronter, voire s’opposer de toutes ses forces. T. Bernhard, encore, cité par MP dans « Éloge de la lecture », a bâti sa planche de salut à l’aide des « Démons » de Dostoïevski, roman qui narre avec une ironie effrénée le destin de quelques possédés, des hommes malades, ivrognes, violeurs, dans un inventaire sans pitié des faiblesses humaines à l’origine du terrorisme, du totalitarisme. Sursaut d’énergie ! Dostoïevski aide au processus de guérison, accentue le désir d’indépendance."

 

Aïe… Pour information, je viens d’apprendre que ce beau documentaire paru avec succès en 2015 chez Actes Sud (j’ai sous les yeux l’édition poche, collection Babel, 2017) a fait l’objet d’une plainte pour plagiat. Michèle Petit, « anthropologue de la lecture », y avait reconnu une reprise de son travail, par un grand nombre de citations de ses œuvres, englobées dans le texte de R. Detambel, sans lui avoir été attribuées nommément. Les exemplaires encore disponibles à la vente ont été alors pilonnés, et une autre édition mentionnant l’apport de Michèle Petit beaucoup plus explicitement est parue un peu plus tard. Dommage de ne pas avoir été plus claire dès le départ, d’autant que l’auteur a pu présenter à maintes reprises celui-ci à la télévision ou en radio, devant l’intérêt suscité par ses réflexions. Je conserve mon enthousiasme pour l’ouvrage, avec l’idée de lire si je le peux Michèle Petit, « beaucoup plus agréable à lire » me dit-on de source bien informée…

Juste une réserve pour moi sur les chapitres ou paragraphes consacrés au contact physique avec le livre imprimé. Les feuilles de papier comme de la peau (allusion au vélin des premiers âges, ce veau mort-né, certes signifiant), avec toutes les connotations autour de l'idée d'enveloppement tactile. Régine Detambel est très attachée à la matérialité du papier, pour ses qualités tenant du contact sensuel des pages, plus consolatrices et bénéfiques que le froid livre numérique. Il est vrai, mais le texte, l'oeuvre, les mots ont leur puissance propre, sur tous les supports. Comme un film qu'on peut avoir autant de plaisir à regarder sur une tablette, voire un smartphone, que dans une salle obscure.

Le livre papier, pour moi encore aujourd'hui est bien plus confortable, comme peut l'être une salle silencieuse dédiée à la projection d'une oeuvre cinématographique, mais ne rentre que pour peu dans le plaisir et le bien procuré par la prise de connaissance de l'oeuvre, ici textuelle. Les pages sur ce thème de R. Detambel sont poétiques, elles sont l'expression pleine certainement de sa pensée personnelle (lit-on ça chez Michèle Petit ?) mais ne me parlent pas spécialement.

Comme l'idée lucrative des ateliers de "bibliothérapie". Je ne vois pas comment elle peut faire passer ça, mieux que dans ce bouquin. Quels ateliers pratiques. J'allais dire, "c'est quoi ce délire". Là, je ne comprends pas. Il faudrait en voir un. Apprendre aux "passeurs" à mieux passer ? Comme toute idée de coaching, l'idée me fait tort (expression poitevine).

Bibliothérapie, quand les livres nous prennent dans leurs bras, par Régine Detambel
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