Le trésor du village englouti / Eva Kavian
(La Vie)
Eva Kavian :
Le Trésor du village englouti. 2019
ISBN 979-10-214-0674-2 : 12,95 EUR
Intéressant - A partir de 9 ans
Pas question de quitter leur village à moitié englouti par un lac volcanique, pour les 4 enfants restés vivre avec leurs irréductibles parents dans leurs maisons inondées, accessibles seulement en barque et reliées par des passerelles. Entraide et fraternité règnent dans cette petite communauté intergénérationnelle, précieuse pour préserver la fragilité de Fanny qui vieillit trop vite avec sa rarissime maladie d’Hutchinson. L’arrivée d’un bébé abandonné par ses parents suscite l’émoi des enfants, bien décidés à retrouver ses parents. Enquêtes et rebondissements s’enchaînent dans ce petit roman bien troussé, porteur de valeurs de solidarité.
Commencé à reculons, multiplicité déroutante des noms et prénoms des personnages qui déboulent dès les premières pages, sans que l’on sache qui est qui, adulte ou enfant. Un petite carte-plan présente la disposition des maisons à moitiés englouties dans les eaux du lac, où habite chacun. Ca m’a semblé totalement improbable et artificiel tout d’abord, ce monde à part, d’où les enfants et adultes partent chaque jour pour aller au collège ou travailler, une idée de vase (plein d’eau) clos, un peu bizarrement trouvé, impossible d’y croire. Et puis, une fois l’effort fait de comprendre qui peuvent bien être Fanny, Dahlia, Franklin, Rick, Juliette, Annette, Philippe, Bernard etc. etc., on passe sur les infos jetées un peu pêle mêle et une certaine confusion du texte (l’auteur, Belge née en 1964, anime des ateliers d’écriture, cela dit) et on s’attache à cette histoire : l’étude des rapports humains d’une communauté très spéciale. Qui vit dans des conditions limites et à peu près invraisemblables (risques de courts circuits et rhumatismes garantis au village lacustre) mais après tout pourquoi pas, on a déjà vu des barrages engloutir des villages, des gens se débrouiller avec les inondations etc. Les autres villageois sont partis depuis longtemps, seules quelques familles sont restées, dans l’illégalité et sans adresse sur leur village rayé de la carte. On comprend que les familles sont restées dans ce lieu hors du monde à cause de Fanny, 10 ans (comme les autres enfants), qui déjà chauve et ridée, du haut de ses 1,10 mètres a l’air d’une très vieille femme, et n’a plus que deux ou trois ans à vivre. Le village forme une sorte d’abri pour la petite infirme, la seule qui ne quitte jamais le village, apprenant ses leçons à la maison auprès des uns et des autres, et membre décisif de la petite bande de copains qui tire les ficelles de ce roman, à cause de sa maturité acquise trop vite, Fanny comprend, Fanny invente, brode, imagine, délire peut être, quand elle incite ses voisins et amis à interroger de façon musclée et sans gilet de sauvetage le petit ami de leur baby sitter disparue, Juliette qui est la mère du bébé déposé comme Moïse dans un panier devant leurs maisons. Enfin quelque chose qui vient changer la vie de Fanny, qui se met à s’occuper du bébé (dont on n’a pas retrouvé le papa, malgré les méthodes musclées des enfants pour faire parler le père putatif), et qui y voit la chance d’être utile et de connaître oui les joies de la maternité, à 10 ans. Plus que les rebondissements de l’histoire, entre expéditions en ville ou traversées nocturnes et en cachette à la tour qui sert de mairie (mais personne n’a rien à cacher de toute façon, même Jean-Paul (ces prénoms tout le temps !!) qui connait bien le monde carcéral, attention mystère, et l’enquête sur le bébé, fil conducteur qui vite n’est plus l’enjeu principal du livre, ce sont les rapports humains bien étudiés par l’auteur, et particulièrement les portraits des gens cabossés par la vie, pas forcément des enfants. Car les enfants et leurs parents, et c’est le cas de la plupart des personnages, sont expédiés sommairement, beaucoup de personnages secondaires (trop), présence artificielle. Parents absents, garçons prêts à passer à l’action (aux ordres des filles) mais pas du tout cernés, héroïne Dahlia pas si intéressante, sinon pour faire le contrepoint de Fanny et donner sa version de l'histoire (livre à deux voix)… Tous caractères faire valoir des vraies personnalités marquantes du roman, qui font que celui ci mérite d’être lu, au delà de la petite histoire sympa tirée par les cheveux mouillés. Dans la famille des amis pas tout à fait encore engloutis, on pioche : Fanny évidemment, réflexions poignantes et sensibles sur la maladie, cet incroyable vieillissement, la mort prochaine… Son ami Bernard presque Alzheimer, élu maire du village pour l’occuper, qui repeint sa maison tous les jours. Médecin qui a perdu sa femme qui lui manque, et un peu la mémoire, plein de reflexions de bon sens fort drôles, sur le fait de vieilllir et de se ficher de tout désormais. Lui et Fanny ont plein de points communs. Et la dernière arrivée, la vraie maman (spoilons) : une jeune femme dépressive, sans sentiment maternel, qui a abandonné son bébé, scarifications et drogue et comportements à risques, surtout ne pas lui laisser le bébé. Ces trois personnages sont très approfondis et bien cernés. L’auteur a travaillé en psychiatrie, elle connait bien les problèmes de santé mentale, concernée par les failles des individus. Portraits sensibles très réussis, qui viennent enrichir la narration et l’histoire du village. Autour de ces personnes fragiles doit s’exercer la solidarité des uns et des autres. Scoop : on ne laisse personne tomber à l’eau.
Donc un roman attachant et offrant (à côté de l'histoire marrante des enfants), une étude assez subtile de comportements et de situations ayant la force du vécu (l’auteur donc a travaillé dans le milieu psychiatrique, proximité avec les êtres en difficulté - maladie physique et mentale), qui présente un côté très adulte, mais prend le risque peut être de se noyer dans sa métaphore de l’eau qui rassemble et écarte. Un roman jeunesse pas tout à fait aussi profond que son lac, mais qui ne mène pas ses lecteurs en bateau (là, ça fait plouf). Tiens, j'ai pas parlé du trésor mentionné dans le titre, un vrai de vrai, difficile à trouver, venu du passé (merci Bernard) et de la chasse d'eau, et qui va rapporter gros, cette fois sur le plancher des vaches, où on peut vivre heureux, aussi, à condition de rester ensemble.