Un Ennui à la Baudelaire

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris

Je ne m'ennuie jamais, mais moi même m'ennuie, je ne voudrais pas être moi. Mon ennui est une angoisse diffuse, une panique à bord devant l'échevau de la vie plus qu'à moitié dévidé sans que rien ou presque ne se soit produit, et sans que j'ai été fichue de faire que quelque chose se produise, c'est ça l'ennui.

Le confinement a ça de bien qu'il met, sinon tout le monde à égalité (plutôt le contraire, révélateur absolu d'inégalités), du moins tout le monde plongé dans le même temps d'un jour sans fin. Il est temps d'en parler, ça finit dans moins d'une semaine. C'est la revanche des casaniers sur les teufeurs, des isolés sur les bandes de potes. Tous face à soi même ou à bobonne, ou aux enfants si agaçants; Alors que cette période de vivre ensemble sera certainement jugée comme la meilleure jamais vécue par la famille, rétrospectivement - si les parents des petits monstres n'ont pas à affronter en drect le seul monstre qui vaille en ce moment, la peste moderne. Retour à la case soi-même, quand les fenêtres Zoom sur le monde de la famille, des amis et des collègues éloignés se referment. Beaucoup d'appels et d'arrivées aux urgences psychiatriques pour les confinés qui perdent la raison, de tourner entre leurs murs avec leur reflet trop souvent dans la glace. Tout le monde ne s'aime pas, encore moins confiné. Chacun réagit comme il peut face à cet enfermement, ou plus simplement cet empêchement d'aller et venir librement, pas tous l'habitude de nous avoir pour principal interlocuteur. Encore de la veine d'être dotée d'un mari et d'enfants, dont une consignée avec nous à domicile, plus la chatte. Parfois pourtant je rêve de savoir ce que j'aurais fait de ce confinement, face à moi même. Comme nombre d'amis ou collègues, célibataires ou divorcés, en leur seule compagnie depuis sept semaines, hors courses prétextes à parler aux commerçants comme à de vieux amis et fréquenter Monoprix pour l'unique achat de petits suisse, ma collègue de la rue Charlot, coups de téléphone interminables et visioconférences intrusives, dévoreuses de temps et montreuses de pans d'espace intime. Oui, comment aurais-je vécu ça ? J'ai passé on my own exclusivement le week end de la Pentecôte 2009, à préparer du mercredi soir au dimanche soir l'oral d'un concours de la fonction publique, que j'ai eu, grâce à mon travail intensif comme jamais tout au long de l'année précédente, et en grande partie aussi à ces quatre jours de juin (très ensoleillés) où je suis restée absolument seule chez moi, libre d'organiser mon temps exactement comme je voulais. J'ai lu, étudié, visionné des vidéos, écouté des podcasts, appris et travaillé goulûment, dans une urgence tranquille malgré l'oral prévu le matin du lundi qui suivait. Une période bienheureuse dont je chéris le souvenir, bénie et ensoleillée, et auréolée de ma réussite au concours qui la suivit immédiatement, réussite qui doit beaucoup à ces jours de révision solitaire, chaque minute employée de manière dense et appliquée et légère à la fois, car décidée par moi et vécue comme je l'entendais, sans concession aucune. Un travail fou dont je ne serais plus capable aujourd'hui, un véritable exploit d'accumulation de savoir, un accomplissement méthodique opéré comme en vacances, dans l'appartement sombre transformé en maison de vacances ensoleillée où je marchais pieds nus et en short, osant m'allonger dans le jardin pour pique-niquer d'une tomate et d'un oeuf. Toujours un livre à la main ou l'oeil sur l'ordinateur, couchée sur l'herbe chauffée du soleil qui passait librement à travers les arbres trop jeunes encore pour étendre leur ombre sur mon rez de jardin personnel. Même pas eu peur d'avoir fait l'impasse sur des pans de savoir bibliothéconomique, eu le nez d'en choisir d'autres à approfondir ou découvrir, des trucs et des ficelles de métier qui me furent ô combien utiles, restés bien ancrés dans mon crâne et ma tête bronzée, pour une fois en accord avec elle même et le monde, et restitués sans coup férir devant les examinateurs, qui décidèrent de faire de moi une fonctionnaire catégorie B. Merci messieurs dames, et merci ce confinement volontaire que j'avais choisi, le mari et les enfants envoyés se faire bronzer à Royan, ex Charente-Inférieure, me laissant à ma seule glorieuse présence de candidate future lauréate, et pendant quatre jours et demis seule maîtresse à bord dans ma maison, ce qui ne m'était jamais arrivée. 

Voilà ce que j'aurais aimé faire lors de ces sept semaines, avoir la liberté absolue de choisir l'ordre de mes occupations, sinon d'aller flâner dehors et au mieux randonner en forêt, le nec plus ultra du non confinement urbain, à portée de train de banlieue. Mais ne pas souhaiter des choses pareilles en fait, les accidents de la vie et les départs de ceux qu'on aime, vers de nouveaux horizons ou au ciel, me laisseront comme tant d'autres, au seuil de la vieillesse et en plein dedans, seule et archiseule, et je n'aimerais pas ça du tout.

Comment aurais-je réagi, all by myself confinée, sans doute plus de rangements, de classements, voir plus d'exercice physique et moins de cuisine. Nous passons quand même un temps fou à table et à faire la bouffe, et ce sont les meilleurs moments, parce que nous avons la chance d'être trois à vivre ensemble, et mettre la table et nous faire la cuisine les uns pour les autres est un vrai bonheur. Seule, une tomate et un oeuf dur auraient bien suffi à me sustenter, et valu une taille en moins peut être. Mais si j'ai, même parmi les miens, même pas atteinte de près ou de loin par la maladie, et sans même besoin de travailler, ni sur écran ni en première ligne avec tous ceux forcés au courage, et bien sûr sans concours à préparer, ça c'est fait, si j'ai donc des bouffées de panique et des accablements mortels, qui me font trembler la nuit et me retourner dans ma sueur et l'insomnie, ou bien m'abattent sur mon lit pour m'enfouir dans le refuge du sommeil dispensateur de rêves où se vivent d'autres vies, même ici et là, here and there avec mes aimés, qu'en serait-il de moi face à moi-même ? Heureusement souvent au matin l'heure sombre est passée, il est temps de chercher une nouvelle recette, mais tous les réveils ne sont pas si faciles, et celui d'aujourd'hui vit le jour à 11 heures  passées, la couette pour protéger et cacher (à qui ? personne ne regarde) mon manque de savoir vivre, tu n'es pas bon à rien, tu es mauvais à tout. Pourtant pour une fois ce réveil les yeux obstinément fermés à presque midi suivait un coucher tardif pas si imbécile, endormie à deux heures du matin mais pas devant des instagram de princesse non, devant la revue Esprit, qui laisse ses articles sur le Covid-19 et ses effets en accès libre, et je lus certains d'entre eux jusqu'à pas d'heure, et en voici un. On y parlait de Baudelaire, le prince des poètes qui m'a valu mon bac de français (comme mon confinement de juin 2019 m'avait valu mon concours. Le spleen baudelairien, qu'il soit de Paris ou seul mal de vivre, l'ennui de l'ennui, te souviens tu de ta Sophie qui ne t'avait même pas reconnu, je l'ai bien reconnue l'angoisse de vivre, qui fait préférer le renoncement d'Un homme qui dort de Pérec, ou de Bartleby de Melville, I'd prefer rather not.

Ma faute pas pardonnée à moitié et d'avouer (pas la seule à le penser très fort) que je voudrais voir durer plus longtemps ce confinement autorisé, dont le mot d'ordre Restez chez vous m'autorise à me cacher du monde et rend moins visible, sauf à moi même lors de lucidités implacables, mon incapacité à en faire partie et à jouer le jeu. Sept semaines et demie de temps de repos et de liberté retrouvée, pour tous ceux qui n'ont pas rôle dans la société à aller combattre le Covid-19 dans les hôpitaux ou à s'offrir aux autres pour faire fonctionner le monde, héros ou invisibles si nécessaires applaudis à 20 heures.  Sept semaines et demie qui font apparaître chaque jour un peu plus l'inutilité des vies flottantes, livrées à elles mêmes et leurs vaines activités qui ne produisent rien qu'un peu de vaisselle, et ici de signaux binaires numériques transformés en textes destinés à disparaître. Sept semaines et demie de non apparition publique, que personne ne remarque ni ne déplore, je ne manque à personne et personne ne me manque, sévère constat que le confinement met au jour la nuit venue, quand l'angoisse est la plus forte, l'heure où l'on trébuche sur les cailloux du désert de nos vies. Alors, relire et se faire expliquer Baudelaire, qui lui aussi souffrit de l'esprit et inventa le spleen, est doux au coeur, car voir plus grand que soi console, qui partage nos peines et les dit si bien qu'elles sont à apprendre par coeur, récitations de disserts et fleurs du mal à en crever. Le confinement protège du monde ceux qui n'y ont pas trouvé leur place.

https://esprit.presse.fr/actualites/nicolas-krastev-mckinnon/voyage-au-bout-de-l-ennui-42679

Fil conducteur de Baudelaire, rencontré trois fois hier, me fait trois fois signe l'évocation de son Ennui, "une oasis d'horreur dans un désert d'ennui", "« Loin ! Loin ! Ici la boue est faite de nos pleurs ! »

Aujourd'hui comme chaque jour à midi France Culture fait réviser les classiques de la littérature française aux lycéesn du Bac, Elsa Lepoivre du Français lit l'analyse des Fleurs du Mal par des inspecteurs d'académie et aussi des poèmes de Baudelaire. Me reste à retrouver une autre occurence du poète, ne sais où j'en ai entendu parler aussi, toujours le thème de l'Ennui avec une majuscule, chercher ça dans mon historique Firefox, lui me dira où j'ai entendu encore entendu parler (trois fois en tout dans la même journée) de Baudelaire dont j'aime l'oeil noir et perçant regarder Nadar, et la plume grincer sur les débordements.
 


 
 

Baudelaire ou le silence des images

Le drame de Baudelaire tient peut-être à ce qu'il a tenté, tout au long de son oeuvre, de faire voir avec des mots, de « dire dans la langue ce que voit la mémoire ». Le « silence des images », c'est la révélation qui marque le début de notre modernité blessée, menacée toujours in fine par l'aphasie.

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Yves Charnet

Écrivain, spécialiste de l’œuvre de Charles Baudelaire et responsable des enseignements de culture générale au département Langues et Cultures de Supaero.
 
 
 

D'autres écrivains esthètes et pessimistes, Houellebecq et Marc-Edouard Nabe, sur l'époque et le confinement.

https://www.valeursactuelles.com/societe/apres-le-confinement-tout-restera-exactement-pareil-selon-houellebecq-118934

https://www.valeursactuelles.com/culture/marc-edouard-nabe-vive-le-coronavirus-118577

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