Musée des beaux-arts de Lyon, collections et expo Jacqueline Delubac

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

Quelques photos prises lors de ma première vraie visite au Musée des beaux-arts de Lyon (la première fois, contentée d'un passage à la cafétéria, café triste avec ma mère devant la fresque verte de Dufy), complétée par l'exposition de l'exquise et chiquissime Jacqueline Delubac, ex-épouse de Sacha Guitry, comédienne piquante et honorée ici pour ses qualités de collectionneuse d'art contemporain et de généreuse donatrice du musée.

 

Parce que c'était elle, parce c'était moi (me suis même prise en selfie devant la toile), mon tableau préféré de Géricault si bien ressuscité par François Weyerganz dans son roman "Le radeau de la méduse", Avant ou pendant qu'il vivait au sommet de l'église Saint Sulpice (lisez Weyerganz), Géricault pendant sa courte vie (1791-1824) a peint cette "Monomane de l'envie", vers 1819-1822. Acheté par le musée en 1908, une des toiles les plus fascinantes à Lyon, le tableau appartient à une série de 10 portraits d'aliénés réalisés par Théodore Géricault entre 1819 et 1822. Existent aussi le Monomane du vol (Gand) ; du Jeu (Louvre)... A la demande d'un médecin de l'hôpital de la Salpêtrière dans le but d'illustrer un ouvrage traitant de la folie et de ses manifestations. Autre hypothèse disant que l'artiste aurait été soigné par ce médecin pour une grave dépression. L'oeuvre fait en tout cas écho aux débuts de la psychiatrie, cf les travaux d'Esquirol (et dire que j'avais sans le savoir son descendant, Jean-Paul, militaire et artiste exquis, comme compagnon d'atelier beaux arts ville de Paris, à Legendre...). Y voir aussi l'imposition du peuple, sous les traits d'une malade anonyme, digne d'être l'objet de la représentation d'un portrait, en ce temps post-révolutionnaire. Les tourments intérieurs sont également un thème clé du romantisme.

 

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    Théodore Géricault (1791-1824), La Monomane de l'envie, vers 1819-1822 (huile sur toile, 72 x 58 cm)    

 

Un autre de mes peintres préférés, Degas, plus en légèreté...

 

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Legs de J. Delubac en 1997

Edgar Degas (1834-1917), Danseuses sur la scène, vers 1889 (huile sur toile)

Le geste de la danseuse est ici représenté, en des postures différentes. Le motif principal est décentré et coupé par le bord droit du tableau, selon le procédé cher à l'artiste inspiré des estampes japonaises et de la pratique de la photographie. Matière crayeuse se rapprochant des effets du pastel auquel le peintre se consacre de plus en plus à cette date, s'écartant d'une illustration mimétique du réel. Le détail s'efface au fil de sa carrière pouir privilégier l'essence même du geste et de la forme.

 

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 Nicolas de Staël (1914-1955), La Cathédrale, 1954

Exilé de Russie suite à la révolution de 1917, vit à Bruxelles, puis Paris à partir de 1938.  L'une des dernières oeuvres de l'artiste, peinte à Paris avant 1955. Abandon des couleurs vives des paysages siciliens de 53-54 pour retourner aux accords chromatiques sombres des débuts, ici puretélumineuse de blancs et de gris et profondeur des ombres bleutées. L'édifice émerge d'un fond noir et bleu nuit, comme une apparition diaphane et fragile, traversée de vibrations de rouge, d'or et de bleu. En résonance avec une vue de Notre Dame, le tableau se rattache à une série de nocturnes parisiens exécutés au cours de l'été 1954. (j'ai choisi aussi de photographier la belle et gentille guide, qui m'indiqua volontiers l'endroit où je pourrais trouver le Rouault que je cherchais, tête de Christ présente dans l'expo J. Delubac. Voici une autre figure, profane celle-ci, de Rouault présente dans le musée). 
Rappel perso : Vendredi 26 septembre 2014, j'ai pris un train corail à Saint Lazare pour passer une journée au HAVRE voir l'exposition : "Nicolas de Staël - Lumières du Nord Lumières du Sud" au Musée d'art moderne André Malraux, présentée à l'occasion du centenaire de la naissance de l'artiste
(Saint- Pétersbourg, 1914 – Antibes, 1955).

Le MuMa
organise la première exposition consacrée au paysage
dans l’oeuvre de cette grande figure de l'art du milieu du
siècle.
Dédié à la lumière, ouvert sur la mer et haut lieu de la
peinture moderne de paysage, le musée du Havre a été
conçu dans les années mêmes où Staël « retourne sur le
motif » pour travailler en Ile-de-France, dans le Sud de la
France, mais également en Normandie. Les paysages de
la Côte de la Manche ont été à l'origine d'une quarantaine
de peintures réalisées en 1952.
Cette exposition réunit plus de 130 oeuvres (80 peintures
et 50 dessins) réalisées entre 1951 et 1955.
Un quart d'entre elles est inédit ou n'a jamais été exposé en Europe.
De nombreux prêteurs privés ainsi que les plus grandes collections publiques françaises, allemandes et
américaines s'associent par leurs prêts à ce grand projet : Paris, musée national d'art moderne,
Bibliothèque Nationale de France ; Dijon, musée des beaux-arts ; Antibes, musée Picasso ; Aix-en-
Provence, musée Granet ; musées de Düsseldorf, Karlsruhe, Los Angeles, Milwaukee, Buffalo,
Cincinnati, Charlotte.
 

 

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  A côté du Roualt, Georges Braque, Femme au chevalet, 1936 : fidélité au cubisme, découpage de l'espace en plans successifs, dédoublement de la figure, rappel des papiers collés avec décor de papiers peints

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 Plus loin dans le siècle...

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 Victor Orsel (1795-1850), Le Bien et le Mal, 1832

Serait-ce l'Orsel de la rue éponyme, dans le XVIIIe, près du marché Saint-Pierre aux imprimés colorés ? Restée longtemps devant cette huile sur toile étonnante, aux dimensions impressionnantes (315 x 206 cm).

Véritable manifeste d'une nouvelle peinture religieuse, ce tableau trouve son origine à Rome

en 1829, selon l'artiste inspiré par le rêve de la fille d'un ami. Illustration du destin de 2 jeunes filles  en une scène centrale entourée de plusieurs tableautins à la manière d'un retable médiéval à fond d'or, pour culminer dans une lunette consacrée au jugemetn dernier. L'une lit attentivement le Livre de lasagesse sous la protection d'un ange, elle épousera un chevalier, sera mère et mènera une vie heureuse, tandis que l'autre malheureuse tentée par le démon se suicidera par pendaison après le rejet de sa famille, suite à la naissance de son enfant illégitime. Sombre drame édifiant, s'appuyant sur l'exemple des primitifs italiens, et plus récent celui des Nazaréens, peintres allemands actifs à Rome

 

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Albert Marquet (Bordeaux, 1875, Paris 1912) : Rouen, quai de Paris, 1912

En avril 1912 il part pour Rouen où la pluie le contraint à  peindre depuis la fenêtre de sa chambre ; il réduit le sujet à quelques éléments : le pont, les toits et les péniches sontesquissés par quelques lignes horizontales et diagonales, tandis que les mâts, réverbères et cheminées d'usine sont évoqués par de grandes lignes verticales. Gamme chromatique réduite à des tonalités assourdies, relevées de cernes noirs. Motif fluvial de la Seine revenant inlassablement dans l'oeuvre de Marquet.

 

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Fernand Léger (1881-1955), Les deux femmes au bouquet, 1921

Pour traduire les aspects du monde moderne, il introduit les "contrastes de formes", des volumes élémentaires répétés comme autant d'éléments de construction, qui l'amènent à l'abstraction. Dans la série des "Déjeuners", 1921-1924, des personnages sont placés dans un intérieur et la figure humaine est définie sans charge émotive tel un véritable objet. Ici, seul le traitement colré des bras différencie les personnages, femmes robots dépourvues de tte sensibilité (ça c'est le catalogue qui le dit, moi je leur trouve une fierté ibérique, à ces deux icônes hiératiques). Traitement en grisaille et modelé contrastent avec le rendugéométrique et les formes fragmentées du fon. L'oeuvre se rattache à ce "rappel à l'ordre" qui se manifeste dans la culture française d'après 1918, fait de réalisme et de tradition.

 

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Alexei von Jawlensky (1864-1941), Tête de femme n°1, Méduse, lumière et ombre, 1923 (huile sur carton)

Formé en Russie, établi à Munich en 1896, ami de Kandinsky. Rejoindra l'avant-garde expressionniste au sein du Cavalier bleu. Pendant la Guerre, réside en Suisse, à Zurich, foyer du dadaïsme. A partir de 1917 traite de manière obsessionnelle le thème du visage, l'oeuvre se rattache à la série des têtes mystiques, ou "têtes de saints". Les yeux disproportionnés rappellent le pouvoir pétrifiant de Méduse. Emploi de couleurs pures et contrastées.Orthodoxe, fasciné par l'art des icônes, une lecture spiritualiste du portrait est possible. 

 

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 Alfred Manessier, 1911-1993

Favelas III, 1980

Figure dominante de l'abstraction française et du renouveau de l'art sacré après 1945. Sa peinture non figurative obéit à deux sources d'inspiration : les paysages picards de son enfance et des événements politiques qui le révoltent, par exemple en Amérique du >Sud l'assassinat du président chilien marxiste Salvador Allende. Représentation du Brésil, non visité par Manessier, dans la série de 6 grands formats autour des favelas, ces bidonvilles du Nordeste brésilien. Evoque l'art du vitrail que  pratiquait Manessier. On peut imaginer une vue nocturne, en surplomb des fenêtres d'un bidonville animé de lumières électriques multicolores. 

 

 

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 Pierre Bonnard, Marthe dans la salle à manger au Cannet, 1933

Maria Boursin, dite Marthe, devient sa muse et sa future femme, tandis que Bonnard participe au groupe des Nabis. En 1925 il achète la ville Le Bosquet, sur les hauteurs du Cannet et commence à représenter son épouse au sein de ce décor. L'artiste dans ses "Notes" explique "vouloir montrer ce qu'on voit quand on pénètre soudain dans une pièce tout d'un coup". Ici, instant anodin ou la feme de chambre dessert la table,s'effaçant au profit de Marthe , au cientre de la composition. A peine brossé, le visage du modèle contraste avec l'atttention accordée à son vêtement. Par delà l'image émouvante du quotidien, le sujet devient ainsi "la surface qui a sa couleur, ses lois, par dessus les objets"

 

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 Léonard Foujita (1886-1968), Autoportrait au chat, 1926

Installé à Paris en 1913, fréquente le milieu de Montparnasse, l'école de Paris. Peintre attitré des années folles à partir de 1925. Repart au Japon en 1929, revient en France en 1950, converti au catholicisme en 1959. Consacre ses dernières années à la chapelle Notre dame de la paix à Reims. A peint de nombreux autoportraits au chat, cet animal étant comme son double. Resseble à un acteur fardé de blanc du théâtre kabuki. Le tableau donne un résumé de tous les genres dans lesquels il excelle : portrait et autoprotrait, nature morte, évocation de la femme. Fond blanc opalescent sur lequel se détachent les figures soulignées d'un contour noir. Cette technique toute en transparence fait le succès de l'aertiste.

 

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 Georges Rouault (1871-1958), La Saitne Face, vers 1938

A la suite de la mort de Gustave Moreau, son professeur à l'école des beaux arts de Paris, Rouault traversa une grave crise morale, et trouva refuge dans la spiritualité. Manière expressionniste, s'attachant à la représentation des êtres en marge de la société. Retour aux thèmes religieux : l'artiste est le rénovateur d'une peinture chrétienne qui emprunte aux icônes byzantines et à la peinture romane.

Ici, thème de la Sainte Face, ou du voile de Véronique, dégagé toutefois de l'iconographie traditionnelle : la couronne d'épines et le voile ont disparu, le visage a les yeux clos, se détache d'un halo luminueux. Stricte frontalité, répétition des martes. Survivance ici des apparitions de Saint Jean Baptiste, peintes par le maître Moreau.

 

 

 

Henri Matisse, Jeune femme en blanc, fond rouge (modèle allongé, robe blanche), 1946

Henri Matisse, Jeune femme en blanc, fond rouge (modèle allongé, robe blanche), 1946

Représentation d'inspiration odalisque d'une jeune femme d'origine congolaise, Mme Hift, vue dans une perspective plongeante. Semble flotter dans un espace indéfini au sein duquel seuls les aplats de couleurs et les jeux de motifs tiennent lieu de repères. Le coeur dessiné par ses bras accentue l'imbrication des formes. Cette toile complète un ensemble de dessins de la série Thèmes et variations et de livres illustrés donnés par Matisse au musée de Lyon, ville dans laquelle il se remit d'une opération en 1941.

 

 

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 Étienne-Martin (1913-1995), sculpteur

"Hommage à Brown", 1998-1990 : bois de frêne peint 

Puissance de cette sculpture quasi totémique, rugosité de la matière, évidence de la simplicité des couleurs, apposées vigoureusement. La sculpure de cet ancien élève de l'école des beaux arts de Lyon est particulièrement bien représentée dans le musée. Participe avec Maneissier au renouveau de l'art sacré, et ici forme de primitivisme. La taille directe du bois, sert l'attention aux formes déjà présentes dans la nature, traversant son travail. Tourner autour de cette oeuvre prenante, présentant des faces abstraites. 

Le tableau dans le fond est "La famille du peintre", par Gino Severini, 1936 "le plus parisien des peintres italiens du XXe siècle",se représente avec un pigeon dans les mains, sa femme Gina un journal ouvert devant elle et leur fille aînée Jeanne, un livre posé sur les genoux. Figures renvoyant clairement aux mosaïques de l'impératrice Theodora à Ravenne.

 

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 Étienne-Martin (1913-1995), sculpteur, plus loin dans le musée cette représentation animale (?)

 

 

 

 

Raoul Dufy, Le cargo noir, 1952

 

 Raoul Dufy, Le cargo noir, 1952

huile sur toile

don de la veuve de l'artiste à la suite de la rétrospective lyonnaise en 1957

 

De 1945 à 1952, Dufy (né au Havre en 1877) réalise une trentaine d'oeuvres représentant l'entrée d'un cargo noir dans la rade de Sainte-Adresse. Toile aux lignes de fuite formées par la jetée et le quai, bordée par une bande de plage avec baigneurs, pêcheurs et promeneurs. C'est la tache noire d'où émerge magistralement le contour vert quasi fluorescent d'un cargo fumant avec panache qui capte toute l'attention. La silhouette du carto surgit d'un large rayon noir se fondant dans un camaïeu de bleu, contrastant avec les fines esquisses d'architecture.

Travail du deuil de l'artiste dans cette clôture de série (Dufy meurt en 1953) : avançant tel un vaisseau fantôme, le Cargo noir évoque le souvenir d'un lieu de son enfance, ainsi qu'une présence funeste qui avance lentement. "Le soleil au zénith, c'est le noir : on est ébloui, en face, on ne voit plus rien", écrivait-il.

 

 

Textes issus et remaniés du Guide du Musée des beaux-arts de Lyon paru chez Fage en 2014, par Geneviève Galliano, Salima Hellal, Stéphane Paccoud, François Planet et Sylvie Ramond

Publié dans dans l'art

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