Suicide, mode d'emploi en @ de voyageur

Publié le par L'Aquaboniste atrabilaire, ou Princesse Rabiola

Toujours reconnaître Victor Hugo caché et présent dans tous les moments de la vie, la nôtre et celles des nôtres, dits "autres" (d'ailleurs né un 26 février, comme Christophe, en 1802, ce siècle avait deux ans)

 

Écrivis ce soir dans le beau blog littéraire et éditorial bien connu de François Bon, le Tiers livre (voir blogroll) ce commentaire tardif à un de ses billets de 2007, publié dans sa rubrique "Choses vues, choses entendues" et déniché dans la botte de foin du net à la suite d'une énième recherche par mes sempiternels mots clés obsédants, les mêmes parfois présents dans les statistiques des "provenance des visiteurs" du présent blog : "suicide", "train", etc. Ce soir je fus donc une "visiteuse" moi-même, naviguer dans le web et ses archives étant devenu ma principale activité, et aussi la rédactrice du troisième et dernier commentaire, ici reproduit, légèrement remanié, de l'article de François Bon intitulé : "à celle dont je ne saurai rien", sur un suicide à Vendôme, TGV 8466, dimanche soir 23 octobre 2007.

 

  "Un dimanche d'hiver à Libourne, mon frère âgé de 44 ans, et atteint de schizophrénie - maladie psychique dont on brandit le nom avec effroi, quand il n'est pas confondu dans les journaux avec la notion de "dédoublement de la personnalité" - est descendu calmement, selon des témoins, sur la voie B de la gare de Libourne, le 6 février 2011, alors qu'un TGV sans arrêt en provenance de Bordeaux, annoncé par haut parleur, arrivait au loin. Le quotidien local a écrit qu'il s'était "accroupi", et le dos tourné a attendu le train, qui n'a pas manqué de le percuter à 158 km/h. Cet enchaînement de faits, leur matérialité dans un passé encore proche, et aussi la volonté en amont qui l'a amené à ce geste, la marche funêbre qui l'a conduit de sa maison à la gare, 500 m plus loin, dans un séïsme tellurique force 9, ou bien dans une catatonie hébéphrénique, comment savoir ? Les sensations mentales qui ont dû le traverser, avant que la ferraille ne fasse son office, restent un mystère pour moi.

Et pourtant je sais tout : le bruit infernal qui se rapproche de toi, les yeux fermés et les poings appuyés de toutes tes forces sur les oreillesta peur insensée ou ton détachement stoïque, qui me dira, puis l'impact du museau du TGV qui traîne ton corps sur des centaines de mètres, et le brise en morceaux. Vision de guerre, ou scène du plus abominable des crimes (quel Jack l'éventreur prendrait la peine de couper en centaines de petits bouts le corps de sa victime ?).

Scène que je ne verrai jamais que dans ma tête, comment son corps a t-il été martyrisé, ne pas y penser, qu'est ce que peut bien faire maintenant ? Ca fait toute la différence, cette manière de se suicider qui fait fi de l'intégralité corporelle, qui s'inflige la négation complète de soi même. Et qui l'impose aussi aux autres, témoins impuissants sur les quais, traumatisés sans nul doute, pour la plupart, les autres...

Et pourtant, un employé SNCF par moi interrogé, car avec mon autre frère nous avions décidé quelques jours après le drame de lancer un bouquet sur le lieu exact de sa mère (quel lapsus incroyable, je veux dire évidemment sa mort), mentionné dans le rapport policier (le repère W, à la hauteur duquel il a surgi d'un abri en verre, caché après avoir été chassé de la gare par un autre employé, alerté par son comportement suspect et son look de marginal - mais alors, pourquoi ne pas appeler la police ?...).
L'employé de la SNCF nous accompagnera dans notre moment de recueillement, une fois le bouquet de jonquilles  lancé sur la voie (lui aussi destiné à l'écrasement). Nous discuterons près d'un quart d'heure, et aurons le sentiment, mon frère restant et moi-même, d'avoir presque eu à le consoler. Il n'avait pas été témoin du suicide de mon frère, mais nous parlait de ses problèmes familiaux, craignant visiblement les mêmes extrémités pour un frère, et un fils.  

Beaucoup de compassion chez cet homme, jamais confronté lui même à un accident de voyageur, mais au courant de la nature de cet acte. Il paraît que ces scènes sanglantes et d'une violence inouïe font la joie de certains amateurs, qui prennent des photos (du haut de la passerelle au dessus des voies, en ce lieu précis), rigolent bien et indiquent les emplacements des morceaux aux pompiers venus récupérer les restes des malheureux. L'Antiquité et ses jeux ensanglantant les arènes sous les vivats du public, les écartèlements en place de Grève et les décapitations guillotinées place Royale ne sont pas si loin, ô bonté du genre humain.
Quel rapport avec le suicide de la jeune fille de Vendôme ? L'employé SNCF nous évoqua un cas, et je pense bien qu'il s'agissait d'elle, une étudiante girondine partie étudier à Tours, la fille du chef de gare (ou autre encadrant de la société nationale de chemins de fer de notre sous-prefecture girondine), suicidée ferroviairement en gare de Vendôme, en 2007, comme mon frère et tant d'autres, mais le silence plane sur ce sujet tabou. Son père a pu imaginer précisément ce qui était arrivé à sa fille, l'atrocité qu'elle avait choisi de s'infliger à elle-même et à ses proches, lui qui était si bien placé pour en connaître l’horreur...

Le week-end de Pentecôte, quelques jours plus tard (post modifié ultérieurement), dans l'actualité on recensera le nombre jamais atteint jusque là dans un tel laps de temps de 12 suicides sous les trains, "accidents de voyageurs", ces expressions dramatiques et spectaculaires de mal être définitifs. Ils entraîneront des retards déclencheurs de plans d'urgence, les voyageurs du Sud et du Sud-Ouest n'ayant pu regagner Paris, pour ce qui est des Parisiens, qu'au milieu de la nuit. Ne voir en tout réseau ferré désormais croisé ou traversé qu'un territoire dangereux, qui peut occire et tuer, à volonté. 

Ces  transports dans l'au-delà par voie express, pour parler légèrement, ne me donnent pas d'autres idées que les noires qui courent ici, pour mon propre compte. Pas sous cette horrible forme en tout cas, un jour mon tour viendra peut être, mais je laisse faire le temps et sa puissance de broyage et d'écrasement, bien supérieure à tous les TGV réunis, puisque "We all gonna die, why rush ?", commentaire de Donna Karan (celle de New York) sur le suicide du couturier Alexander McQueen. 

J'imagine toujours mon petit frérot sautant le pas, descendant "calmement", selon les témoins, sur la voie ferrée, me laissant exsangue de tout ce sang qui coulait, qui coule toujours dans mes veines.

Je repense à ces trucs blancs effrités, ressemblant à des résidus de papier toilette délités par la pluie, éparpillés sur le ballast libournais, que je n'avais pu m'empêcher d'observer quelque trois semaines après, peut-être bien que c'était des traces de chaux, destinée à brûler les minuscules lambeaux de ta chère chair, mon saint Christophe martyrisé après J.-C., la même que celle qui brûlait les pieds de la pauvre Sophie, celle des Malheurs, quand elle piétinait joyeusement la belle étendue blanche et lisse... Les Malheurs de Christophe restent à écrire, que l'on ne t'oublie pas, pauvre être qui n'a rien vécu, mon frère.

La question de ce mystère du suicide, cette tentation de la destruction impitoyable, pour échapper à une vie sans doute considérée à ce moment là comme plus insupportable encore... Ainsi fut fait pour mon petit frère.

 

"Depuis, j'y pense toujours".


 

 

 

Rappel : ce post expéditivement expédié l'hiver dernier (bis répétita, jusqu'à l'épuisement...)


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Publié dans christophe & more

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