Yan Pei Ming, peintre et bègue

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

Texte issu de la monographie sur Yan Pei Ming de Bernard Marcadé, parue chez l'Herne en 2014, collection Courants d'art


"Le choix de la peinture, autant dire le choix des armes. Quand YPM décide de faire de la peinture son activité artistique (à la fin des années 80), la peinture va mal. Elle est devenue pour l'essentiel ou une affaire de "discours sur" ou une parodie; C'est donc en connaissance de cause qu'il persiste et signe dans un genre dévalué. Stratégiquement, le choix de YPM était condamné.

 

 


Par ailleurs, n'était il pas condamné à n'avoir, en Chine, qu'une existence fade ? Compte-tenu de ses origines très modestes ; compte-tenu d'un handicap rédhibitoire dans la culture chinoise : son bégaiement. "Quand j'étais enfant, je bégayais. Je n'ai pas pu exprimer normalement, oralement, tout ce que je voulais. Je me suis toujours demandé ce que je pouvais faire. Je pense que je me suis imaginé une langue. Un autre langage que des paroles réelles. Je sais parfaitement que les images, c'est un langage qui a remplacé les paroles. A ce moment là, j'ai commencé à peindre."
Le choix de YPM est donc lié à cette double condamnation. La peinture est l'arme qu'il a choisie pour se défendre, et ceci à partir de sa double culture. Une arme défensive, qui au fil du temps, est devenue offensive ( YPM aime à dire qu'il ne peint pas, mais qu'il attaque). Offnsive contre la mode, offensive contre la peinture. Ses tableaux constituent une offense à la belle peinture française, à son bon goût, à son sens de l'équilibre et de la mesure, à sa morale même.
...
YPM est chinois plus à la manière de Sun Tzu que de Zao Woo-ki. "Observez la stratégie de l'ennemi. Lorsqu'il s'est engagé, changez ses forces en faiblesses ou votre faiblesse en force". Son art joue, d'entrée de jeu, sur le double versant de l'évitement et de l'affrotnement. YPM est le peintre de l'assaut. il ne peint pas une toile, il l'attaque. La toile n'est pas un terrain neutre et pacifié, elle est un lieu de tension et de résistance. La peinture ne se donne pas, elle se conquiert. ;;; Pas de mise à distance critique, ironique ou simulationniste. YPM affronte la peinture en face, sans détours, sans biais. La peintrue pour certains aurait perdu la face, serait devenue indigne, voire ridicule ; elle aurait perdu de son prestige. YPM part de ce constat, de cette indignité qui le renvoie à sa propre indignité ("Ma vie était condanée en Chine. J'étais un enfant d'ouvrier, issu d'une couche sociale très basse. On ne m'a donné aucune chance, malgré la force de ma volonté. Je sentais que je n'avais pas ma place en Chine".)
La peinture devient donc très vite pour YPM la seule issue possible pour accéder à une forme de dignité personnelle : elle lui permet de s'exprimer sans avoir "à parler" ( YPM est bègue) ; ell est la seule manière de ne plus perdre la face. Il redonne du même coup à la peinture une fierté, une audace une franchise qui n'était pas souvent de mise dans les années 80, la peinture occidentale errait entre figuration libre, simulationnisme et citation.)"
 

 

Au fil des chapitres, remarquer les obsessions qui reviennent, toutes brossées des mêmes impérieux coups de brosse, dans la trinité des couleurs noir blanc rouge : tous ces cadavres peints, celui de son père, celui de Marilyn. Inspiré de cette incroyable photo de Marilyn à la morgue, où la star n'a plus que sa chevelure blonde pour qu'on la reconnaisse, et encore, méconnaissable, raide, tirée en arrière. La bouche rentrée, déjà un masque mortuaire.

Publié dans dans l'art

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article