Visite guidée à Libourne, de la Paillette jusqu'à Condat
Ai enfourché mon vélo et pédalé jusqu'au coeur de la ville, débarquée fraiche et dispose aux neuf coups du matin de l'église St Jean, pour répondre à l'invitation de l'office de tourisme pour une visite guidée, "sur les traces des chevaliers et des gabariers", etc. N'ai pas vraiment prêté attention la veille au libellé de l'intitulé de la visite, annonce lue dans le numéro d'été du magazine d'information de la ville, juste l'idée de sauter sur l'occasion d'un rendez-vous promenade, guidé et proposé ce jour par une "historienne" sympathique, bavarde et enthousiaste. Cette robuste brune d'Aquitaine, beaux yeux beus, menton galochard et solides cuisses de marcheuse, nous entraînera depuis le parvis venteux de Saint-Jean jusqu'à la chapelle de Condat, dont elle est à l'origine de l'association de sauvegarde, merci pour elle, en passant par le… cimetière de la Paillette, drôle d'endroit quand même pour une rencontre, j'ai assez de fantômes à me trimbaler quand je reviens ici, passés présents et à venir. Le graveyard hype (huppé) de Libourne, toutes gloires locales confondues inhumées là, Princeteau le prince des chevaux, Abel Surchampt le maire de la place éponyme, et aussi Jean Mamère, peut-être ? Car "ici sont enterrées des grands-mères" dit la guide, tiens donc ? Non, il s'agit en fait de "grands maires", rires de l'assistance, composée à majorité de touristes bretons, grand-bretons ou de curieux du coin, comme moi, tous cheveux blancs ou teints pour les dames, dont moi, benjamine ?
Jamais entrée auparavant dans ce cimetière souvent longé, en route justement vers Condat, car pas de morts à fleurir dans le coin, les seules fleurs acquises à cet effet ayant été jetées sur les rails ferroviaires un peu plus haut, hommage discret autant que désespéré, opéré en présence d'un cheminot. Des fleurs il y en a quelques unes aussi ici (mais pas d'arbres, dommage pour un lieu de calme, et un train de marchandises passe au fond des allées, ça fait de la distraction aux endormis ; à Libourne serpentent de concert et se croisent le train et les rivières), plutôt en porcelaine vieillie, façon barbotine, que chrysanthèmes épanouis, ce n'est pas la saison, même si de gros nuages menacent et nous gâcheront l'après-midi et même les jours à venir, moi si contente de faire (re)découvrir l'été caniculaire et la touffeur du Libournais à Clara, eh bien non.
Quelques mots gribouillés sur mes horaires Libus difficiles à déchiffrer plus tard, mon écriture automatique ne s'arrange pas (bien pratiques toutefois les horaires pour aller plonger dans les eaux poissonneuses de l'étang des Dagueys, vertes et tempérées à 26 °), ai bien écouté les paroles de notre guide prolixe et généreuse en réflexions et remarques sur la statuaire des lieux, "magnifique", "très belle", etc. Pour une visite touristique c'est quand même un poil macabre, pardon, renvoi sans merci à notre condition humaine, le magazine décrivait une balade "des chevaliers aux gabariers" façon conte pour enfants et nous voilà à errer parmi des tombes, dès potron-minet, âmes trop sensibles s'abstenir, je n'ai pas coché l'option "nécrosophe" comme au Père-Lachaise, moi. Mais bon pourquoi pas, ouvrons-nos yeux et nos oreilles, après tout serais-je entrée en ce lieu de mémoire sans notre guide bien charpentée.
En effet, à la Paillette on peut voir plein de choses, la première surprise passée de la découverte d'hideuses (ou rigolotes) verrières en vitres transparentes ou colorées en jaune, il y en a même une qui évoque franchement un abribus Decaux ? J'aurais dû prendre le temps de m'approcher de ces drôles de vérandas, jaunes et blanches, pour regarder l'agencement intérieur de ces petits mausolées, à n'en pas douter farcis d' ex-voto et objets kitsch et émouvants aussi assurément, déposés par les gens du voyage (avec halte en Libournais), amateurs du lieu et propriétaires de défunts immobilisés ici. Il parait qu'on peut voir aussi certains jours à la Paillette des carrés de moquette synthétique du meilleur goût au milieu des allées, il est bon de pique-niquer au milieu de ses morts familiers. J'ai l'impression de ne les avoir jamais vues, elles sont pourtant bien visibles, avec tout le cimetière, d'un simple regard par la fenêtre, du côté droit du train, direction Bordeaux. Remarquées comme pour la première fois lors de notre trajet SNCF vers Bordeaux et son aéroport de Mérignac, quelques jours plus tard, alors que je fus abonnée à ce trajet et fis maints allers-retours, étudiante en lettres à Talence. Les cimetières m'inspiraient moins que maintenant...
Je fais un petit clin d'oeil à la "tombe des Brisson", salut Nounou mais ce n'est pas toi derrière l'inscription taillée dans la pierre blonde bordelaise, d'ailleurs où es-tu ? Et c'est parti pour la symbolique mortuaire et romantique, effectivement il y a là de l'architecture, les dernières demeures faisant l'objet de soins particuliers chez les notables, au siècle dernier on savait se faire construire des monuments particuliers, sur mesure, suivant ses goûts, bien mieux que le prêt à gésir actuel, marbre reconstitué et esthétoc Rocéclair ou Leclerc. Ici, vive la pierre blonde et tendre de la région, intéressante à sculpter (et salpêtreuse), pouvant donner l'aspect de la légèreté, voire de l'envol. On peut voir une colonne tronquée : symbole de la virilité (tiens donc), et si tronquée c'est que l'homme est mort dans la fleur de l'âge ; des urnes voilées, avec petit voile de pierre à l'arrière : c'est le rideau séparant la vie de la mort. On en retrouvera de monumentales au dessus du portail du cimetière, avec les mentions de l'alpha et de l'oméga, voir l'Apocalypse de Saint-Jean, des flancs s'ouvrent sur des bas-reliefs sculptés, jamais fait attention à la chose avant, merci Madame de vos explications, que je couche ici sur le papier du net, pour… l'éternité. Une pleureuse éplorée nous vaut une explication éros-thanatos, principes de vie et de mort, pourquoi pas l'idée du chagrin seul ? Une mini chapelle de Condat, en avant-goût de la vraie. La statue du mausolée de Battanchon, sculpteur (?), au bouc barbichu prêt à s'envoler, bien pompeux et pompier, la flamme vers le haut symbole d'élévation. Nous quittons ce lieu chargé, pour continuer à arpenter le chemin des processions vers Condat, passons sous la voie de chemin de fer, nombreuses ronces, peu de piétons sans doute dans le coin, d'ailleurs ai-je jamais marché à pied par ici ?
Arrivons à Condat devant la chapelle, le nom vient du grec, signifie "confluent", mes chères rivières l'Isle et la Dordogne. Libourne en bout de course, ce confluent après celui de la Garonne et de la Dordogne, nées de la Gironde, dans l'estuaire. Intéressant de savoir que Libourne est une ville côtière, dont les horaires des marées sont donnés dans le journal, comme Bordeaux, alors qu'on est ici à 100 km dans les terres, c'est l'effet de l'estuaire indompté, et de son mascaret qu'on peut voir deux fois par jour, penser à aller le voir en plein jour, des fois qu'll y'aurait par là aussi des pêcheurs de silures grands comme mes petits garçons d'autrefois. Je photographierai un monsieur des services de propreté de la ville, balayant la vase de la dernière marée montante. Le soir suivant, bien cachée dans l'ombre des platanes du quai du Priourat (sans les lampions du 14 Juillet) et aussi par nos corps défendants ma vieille mère posa culotte pour déposer un pipi juste derrière la ligne des traces de marée, "j'ai grande envie" rigola-t-elle avant de m'envoyer illico quelques gouttes sur les nus-pieds, nous nous tordions de rire.
Donc, Condat, édifié à partir d'un camp romain, lieu chargé d'histoire, déjà présent dans les courriers d'Ausone et de Polinus (?), port fortifié et emplacement stratégique situé en toute fin de l'entonnoir de l'estuaire, pour surveiller celui ci, institué par Charlemagne, établi sur le tertre de Fronsac après avoir maté la révolte d'Aquitaine en 769. Habite le quartier des Fontaines (vers "Leclerc", bonjour la référence s'excuse-t-elle, et c'est vrai passant et repassant avec le Libus n°2 avenue du Maréchal Foch vers les Dagueys, je remarque un troquet nommé "Les fontaines", et aussi le lavoir (romain ?) se détache sur fond d'Isle dans une trouée de verdure, mais il est tagué, hérissé de bouteilles vides et de mauvaises herbes, et sent le pipi selon Clara qui refusera d'y descendre.
La petite chapelle à l'entrée de la palud ressemble fort, selon la guide, à la Sainte-Chapelle de Paris, chapelle royale elle aussi, ayant bénéficié de la même restauration au XIXe par des médiévistes convaincus, élèves de Viollet-le-Duc, que les églises au Moyen âge étaient polychromes, l'intérieur et les façades, d'où voute étoilée bleutée, fleur-de-lysée, et ô miracle c'est la fête à Aliénor quand elle allume l'"arc triomphant", des lampions là aussi, et surtout un délicieux bestiaire sculpté, 16 animaux du bestiaire chrétien, cher à François d'Assise, toute la création végétale et animale, des fleurs, des plantes, des moutons, des oiseaux, et aussi des griffons, par rangs de 4 x 4, soit seize petites sculptures en bois doré, délicieusement répartis tout autour de l'arc, jusque là invisibles à mes yeux. Comme la Sainte-Chapelle, Condat dispose de ses reliques, dans une chasse en verre, des os grisâtres, ceux de saint Amadour (celui du Roc ?), et un peu plus loin l'Epine, en bois noir daté au carbone 14, authentifiées en 1600 comme la centaine d'autres répertoriées dans le monde chrétien (d'autres conservées au British Museum, au Vatican à Rome), récupérées par Charlemagne, qui sacré empereur en 800 a voulu récompenser les lieux qui ont compté pour lui, donc Condat, en leur offrant ces joyaux, le trésor de la chrétienté, les épines de la couronne du Christ. Une plaque de l'église Sainte-Eulalie à Bordeaux fait mention de ce don en 811, qu'on déposa ensuite à l'église Saint-Thomas, à la place de l'actuel hideux marché couvert de 1970, ayant remplacé lui-même un marché métallique façon Baltard, quelle pitié. L'épinette, cette sainte épine, relique, bout de bois censément de la même essence d'arbre que les autres épines de la chrétienté, une centaine au total, provenant toutes de la même région et de la même époque, ça donne à réfléchir. Celle de Libourne fut brisée en deux à la Révolution par un malotru, son complice, honteux du forfait, ayant heureusement pensé à la dissimuler, on l'enchâssa dans un anneau d'or, et maintenant elle est rangée quelque part à l'église Saint-Jean, et on la montre pendant les Journées du patrimoine. En septembre 2010, entre visites à ma mère hospitalisée et rangements frénétiques (et pas de visites à mon pauvre frérot prisonnier de sa maladie, et dieu sait si chez lui aussi il y avait à ranger), je pris tout juste le temps d'une visite patrimoniale et botanique du parc de l'Epinette (la même), et d'un concert d'orgue à l'église du même nom (ma paroisse au nom du père, mon catéchisme, ma cérémonie du souvenir de Christophe, mon clocher d'enterrement de Papa auquel je n'assistai pas, empêchée de mes dix ans bronchiteux, mon repère et repaire), qui vient d'ailleurs à l'instant de sonner les huit coups d'un vingt heures au soleil couchant, sur la pelouse de notre jardin de l'avenue du même nom, l'Epinette.
Elevons-nous nettement d'un cran, le jonc de la couronne d'épines du Christ serait lui à la Sainte-Chapelle. La vénération qui entoure à la fin du Moyen âge les saintes reliques est à l'origine de l'effervescence autour des cités les renfermant. On ne parle pas encore à l'époque de Libourne, mais donc de Condat - sans parler de Fozera, nom qui vient du mot "fougère", car marécages plein de fougères, Saint Jean de Fozera, l'église près du marché, dont les vitraux content l'histoire de la sainte épine, pendant quelques années avant de devenir Libourne, Condat sera Fozéra.
Les ducs d'Aquitaine venaient en villégiature à Libourne trouver le calme et la nature, à côté d'un Bordeaux insalubre et rongé par les épidémies. En 1060, le grand père d'Aliénor c'est Guillaume VIII, l'an mil est passé et ses grandes craintes, les gens ont eu peur de la fin du monde (comme aujourd'hui ?), c'est le moment ou l'Europe se couvre d'un manteau d'églises.
La guide nous parle amplement d'Aliénor d'Aquitaine, la princesse du lieu, et reine de France, car la chapelle est royale, attenante à une résidence royale de France, même si destinée aux gens du château, sis à côté et démoli, tout comme la source, vendue avec le presbytère, aujourd'hui jolie villa Saint-Yves, on se croirait au bord de la chapelle du Moulleau à Arcachon, Aliénor elle aussi "Princesse d'Aquitaine", comme le bateau de croisière amarré en aval de la Dordogne un peu plus loin sur le quai, sauf qu'elle était reine, et deux fois, d'abord à un roi de France, puis le mariage ayant été commodément annulé, unie à Henri Plantagenêt, et devenant par là même reine de France, mère de Richard Coeur de Lion, excusez du peu, et de Jean Sans Terre, souvenirs du lion félon du dessin animé disneyien Robin des Bois, aimé par mes petits frères et moi, in the seventies. A qui fut donné le château de Condat. Aliénor fit construire une première église de l'Epinette, celle ci jugée trop excentrée n'accueille pas (ou plus) la sainte relique. J'aimerais bien la voir un jour moi aussi, l'écharde magique.
L'Aquitaine était anglaise alors, Louis VII voit son royaume de France amputé. L"Aquitaine bénéficie des routes commerciales de l'Europe du Nord, et d'une prospérité née du négoce. Les murailles de la cité ont été construite avec le granit des côtes anglaises *, lestant les bateaux de commerce, qui déchargeaient leurs cargaisons de pierre pour bâtir les bastides, les bateaux repartant lestés de vins et de sel (le quai des Salinières à Libourne, fidèle aux Anglais, on est pas dans une prise de possession, les rosbifs et les froggies s'entendant tout de même en bonne amitié et respect, malgré la guerre de Cent ans, qui finit à Castillon (la Bataille), comme chacun le sait ici. D'où les fleurs de lys réparties sur les voutes car quand même l'Aquitaine va finir par rejoindre le giron français. Louis XI pas rancunier viendra à Libourne et tombera amoureux de la cité, donnera à l'église sa tournure gothique flamboyant, pour enlever toute trace des Anglais.
Histoire de bastides, ces villes aux plans carrés, aux rues tracées à angle droit entourant de façon orthonormée une grand place bordée d'arcades, ou d'arceaux : les villes anglaises (dont Libourne) et les villes françaises (on y parle plus de "couvert", au lieu d'"arcades" ?), soit Montflanquin ? Villeréal ? Sainte Foy la Grande ? devant être distantes de 30 km l'une de l'autre.
Louis VII pas content : Edouard Premier cousin de saint Louis, à la dernière croisade 1270, envoie son premier lieutenant Roger de Leyburn, mais déjà malade celui ci n'ira pas en Orient, et reviendra mourir dans son Kent natal, où la guide en voyage d'étude pour son doctorat et son livre "Libourne, histoire d'une bastide" ("rien d'écrit depuis 1876 !") verra avec émotion, on la comprend, sur les vitraux de la petite église gothique du lieu (non détruite car pas de révolution chez les Anglais autre qu'industrielle), les fortifications de Libourne, et la tour du Grand Port. Car bien sur Roger de Leyburn donnera son nom à la ville, francisé en "Libourne", plus Melbourne donc que Livourne. Libourne-burn-t-il ? La guide nous recommande bien par ailleurs d'aller admirer au musée des beaux-arts, dans le bâtiment de l'hôtel de ville, néogothique et magnifique néanmoins, un tout petit tableau du XVIIe ou XVIIIe représentant le grand port de Libourne en majesté, toutes murailles et voiles dehors, et dire qu'aujourd'hui un affreux pont rouge (bordeaux) bouche désormais l'horizon du confluent, n'autorisant plus le passage des bateaux dotés de hauts mats vers les quais de la bastide…
* je viens tout juste de terminer, comme ponctuant ce récit entendu dans la vraie vie, provenant de la vraie Histoire, l'histoire de la pauvre noyée Maïre Concannan, échouée sur les roches granitiques irlandaises acérées d'Aran (allusion au granit des côtes de la Manche et de la mer du Nord) dans le roman d'Hugo Hamilton "Je ne suis pas d'ici" ; j'aime quand se produisent ces (re)trouvailles, petits impacts de la vraie vie en résonance avec les mots des auteurs que je suis en train de lire, la preuve que je ne me suis pas trompée de livre, et celle aussi peut-être que je me trouve, moi et ma vie, dans une spirale de sens, et que le chaos s'éclaire un peu, le temps d'une synchronicité, mine de rien…
Moment bien agréable, à zyeuter les beautés de l'endroit, Notre-Dame de Condat, église mariale, dédiée à l'Annonciation et à l'Assomption (vitraux), et patronne des marins, avec ses ex votos ("Un ange que vous nous avez donné ; "Souvenir de la communion de 1860"…) et surtout ses deux voiliers sous vitrine, sur les côtés. Une ville portuaire donc que Libourne, qui fut jusqu'au XVIIIe siècle un grand port, rival de Bordeaux, mais "maintenant on ne fait pas le poids…" concède la guide, réaliste.
Goûter ce moment de calme (de recueillement ?), écouter la passionnaria qui nous sert de guide, à la tête de l'association de sauvegarde de la chapelle, dont la restauration prochaine, 400 000 euros, sont à la charge d'un généreux mécène privé et anonyme. Une gentille dame qui s'entretient avec moi sur la route du retour imagine qu'il s'agit de Bernard Théret (?? aucune mémoire des noms), propriétaire viticole qui rachète les crus du Bordelais et propose des expos d'art contemporain dans l'un d'eux. Rue Fonneuve, un peu plus tard, la visite terminée, un autre "passeur d'art" contemporain, Christian Servant, fort affable, m'entraînera dans la cave de sa galerie d'art, en tout bien tout honneur (?), admirer les verts d'eau des tableaux de Jean-Marie Poumeyrol, Palois d'adoption désormais, il est vrai que de Libourne la vue sur la chaîne des Pyrénées est moins belle, et aussi les huiles représentant des séries de baskets Converse, par une Isa K. au dessus du niveau général de la galerie. Mais, même si "600 euros c'est pas cher" et que comme disent les panneaux disposés auprès du comptoir de la galerie, "offrir une oeuvre d'art ça fait autant plaisir qu'un repas au restaurant", je ne me laisse pas séduire par les sirènes et les effusions du sympathique galeriste, auquel maladroitement je tente de glisser que "moi aussi je peins", mais non.
Auparavant nous serons revenus sur nos pas en suivant cette fois la rivière Dordogne et ses tourbillons café au lait, pourquoi à Libourne de telles nuances d'opacité boueuse, de remugles vaseux ? Ville côtière, soumise à la marée, on vous le répète, il n'est que de voir les berges en contrebas tour à tour brillantes de vase fraîche luisant au soleil, la plage de la Grande conche à marée basse, puis croûtées d'écorce marron et desséchée au soleil, au reflux. Finalement la guide marchant devant n'aura pas tant parlé que ça des gabares et des gabariers, continuant jusqu'au XIXe siècle au fil de l'eau le commerce institué depuis des siècles, celui du vin. Ou bien étais je occupée trop loin derrière, en bavardages avec ma gentille dame, qui elle aussi de sa campagne au nord de Saint-André de Cubzac rapplique dès qu'elle peut à la ville, autant pour le shopping rue Gambetta que pour le culturel proposé par la cité, sans parler de Bordeaux, distante elle aussi de 30 km de chez elle, et "Saint-Emilion, la perle de la région !" (y retourner, mon pèlerinage habituel). On passe devant les grands chais aux mascarons baignés de soleil le soir venu, ceux des maisons Moueix, Janoueix, des noms corréziens, en amont de la Dordogne, négociants ayant fait fortune, et la fortune aussi de la petite cité.
On ira déguster convivialement, à midi passé, sur le trottoir d'une boutique de vins de la rue Jules Ferry des tartines de fromage blanc saupoudrées de fleur de "sel de vin", gros grains colorés en bordeaux, ne leur ai pas trouvé de goût de vin, juste celui du gros sel qui donne soif, et vendu en petites bouteilles valant le prix de grands crus, allez donc, heureusement accompagnées de "Broc", l'apéritif blanc ou rouge autoproclamé libournais. C'est là que notre guide nous quittera, n'ayant pas été avare de son temps, et à la verve généreuse et sympathique tout au long de ces trois heures bon poids (pour 3 euros, pas les prix de Paris ça hein), bien qu'un poil trop prompte à dégainer ses études, diplôme et livre à venir sur la bastide qu'elle, vous et moi aimons bien.