Méandres et cingles en Dordogne, rivière d'espérance (et à Libourne)

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

Méandres et cingles en Dordogne, rivière d'espérance (et à Libourne)

Je lis le premier tome de "La rivière Espérance", best-seller des années 90 (80 ?) de Christian Signol. Ne suis pas sûre de lire les deux autres volumes de la saga, mais bien accro au premier de la série, trouvé dans une de ces bornes à livres qui fleurissent en province, dans lequelles je dépose peu, car conservatrice, et prélève beaucoup. Etait-ce un des livres qui s'arrachaient lorsque j'étais vendeuse à France-Loisirs, pendant/après mes études de lettres ? Je méprisais alors cette littérature dite de "terroir", présumée pleine de bons sentiments, et de trop de recueillement devant les beautés de notre mère patrie, et ses mamelles agricoles. Je n'ai pas lu non plus les grives et les merles de Claude Michelet, préférant alors surfer sur le sommet de ma toute puissance littéraire, lisant jusqu'à soixante-dix livres par an, surtout des romans anglo-saxons "bien écrits", et des français classiques ou modernes, au style varié comme j'aimais, Jérôme Charyn ou Michel Tournier. Voir quelques listes de mes lectures de ces années là, quand je pouvais absorber des livres jusqu'à plus soif, sans m'endormir devant, et en les retenant qui plus est. Désormais je ne lis presque plus que les nouvelles du monde sur le petit écran de mon smartphone, à m'en crever les yeux et m'empêcher de dormir (alors que l'imprimé pardon, sommeil assuré).
La saga fluviale (la Dordogne étant désignée tour à tour comme fleuve ou rivière, voire torrent ou source, du côté du Mont Dore, par l'auteur prolixe de tournures et d'expressions descriptives) de Christian Signol ne me tombe pas des mains, j'ai vieilli et sans doute régressé, je retrouve les accents des sagas que je lisais à quatorze ans (les Jalna, les Angélique, les Hommes en blanc) : action et sentiments romanesques, sans les dépriser. Point trop n'en faut quand même, je peux aussi être lectrice (plus concentrée) du "Requin" de Will Self. Et je suis la première à conspuer les facilités et longueurs, ou répétitions, ou manque d'envergure, des pavés policiers d'Elizabeth George, ou des romans fleuves de Ken Follett, lourdingues comme des "piliers de la terre", et pseudo historiques telles que les superficielles "Chroniques de San Francisco" d'Armistaid Maupin.  Tous romans bien mal ou insuffisamment ancrés dans l'espace temps qu'ils revendiquent, l'Angleterre médiévale des piliers ou la Californie années 60 des Chroniques, les intrigues pourraient se passer aujourd'hui, et partout. Par ailleurs (j'avoue cette tare honteuse) n'ai toujours pas pu lire à ce jour "Harry Potter", trouvant trop mièvres et mal écrites les aventures juteuses du petit sorcier.
Alors pourquoi cette indulgence (cette "espérance" ?) pour la signolade du père Christian ? Ben, peut être parce que je suis de Libourne, et que j'en reviens tout juste, du "cingle" de Condat, un mot appris sur les nouveaux panneaux explicatifs de la boucle de la palus de Condat parcourue à pied pour la première fois (après 45 années de tours de vélo), et que chaque fois j'y scrute la rivière chocolat Dordogne, avide de son mascaret et de ses vagues mousseuses. Mais toujours ignorante des heures et coefficients de marée, je me contente d'admirer les laisses de vase sombre, et regarder le vol des oiseaux au dessus des flots désertés.

Grand mérite à Christian Signol de faire revivre les temps révolus, au XIXe siècle, de la marine fluviale de transport, et de nous présenter le port de Libourne tel qu'il était, bruissant de grands bateaux et de gabares, d'une activité inouïe, qu'on a peine à concevoir aujourd'hui, le confluent de Isle-Dordogne irrémédiablement barré par un pont autoroutier (de couleur bordeaux !) rendant impossible le passage des hautes mâtures... Regarderais désormais d'un autre oeil les marines du musée de Libourne représentant le port de la bastide, comme quoi la fiction historique frappe parfois plus l'esprit que la simple vue des images.

On y est bel et bien, dans la vallée de la Dordogne, et en train de naviguer sur ses flots avec Donadieu père et fils, Victorien et Benjamin (penser à voir le grand Jean-Claude Drouot dans le rôle du père, dans la fiction de Josée Dayan ? aussi Manuel Blanc dans le rôle du bel indécis, Claire Nebout dans celui de la perfide Emeline (Claire Nebout ! qui avait déjà bien 30 ans en 1995 date de la série TV, la femme de Néanderthal - et de Frédéric Taddéi...), et impossible ensuite de prendre un verre au Bistrot maritime de Libourne, le tout nouveau bunker bien noir sur les bords de la Dordogne, sans penser à l'incroyable profusion de bateaux partant et repartant de la bastide il n'y a pas si longtemps, quoi, un siècle et demi, avant l'arrivée du train.

 

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