"10 millions d'étoiles" par Robin Roe

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

"10 millions d'étoiles" par Robin Roe
(PKJ)(Territoires)
 Robin Roe ; trad. par Caroline Bouet :
 Dix millions d’étoiles. 2018
 ISBN 978-2-266-27380-0 : 17,90 EUR
 A partir de 11 ans
 

Par la romancière américaine Robin Roe, un roman traduit de l’américain qui raconte une belle histoire d’amitié et d’entraide entre deux garçons différents que tout oppose, éducation et caractère, où le plus âgé s’occupe avec bienveillance et courage du plus jeune, orphelin et malheureux, et l’aide à revenir sur le chemin de la vie, après de terribles épreuves.

Julian, 14 ans, a perdu ses parents dans un accident de voiture quand il avait 9 ans. Depuis, il ne parle presque plus, esquive les questions et se mure dans un comportement bizarre. Adam, 18 ans est aussi joyeux et dynamique que Julian respire la tristesse. Un peu trop sans doute, Adam souffre d’hyperactivité, un vrai trouble qui ne l’empêche pas de rayonner et d’avoir beaucoup d’amis, et d’admiratrices aussi.
La direction du lycée vient de décider qu’à la cantine les grands de terminale devraient partager l’espace déjà réduit avec les petits de troisième. Comme si ça ne suffisait pas, chaque élève de terminale devra prendre en charge un petit de troisième, pour l’accompagner dans sa scolarité... Voilà de quoi faire fulminer Charlie, le meilleur ami d’Adam, en terminale comme lui, un grand costaud qui en impose mais n’arrête pas de se plaindre d’être martyrisé par sa ribambelle de frères et sœurs plus jeunes que lui.
Le roman est écrit à deux voix, présentant alternativement dans de courts chapitres les pensées et le vécu de Julian et d’Adam tour à tour. Il s’ouvre sur une bouleversante scène d’enfermement (pas la dernière du roman), où on voit Julian s’enfermer volontairement pour se soustraire au regard des autres, préférant leur échapper et cacher son désespoir dans un refuge qu’il s’est trouvé. Une cachette secrète, une petite pièce abandonnée découverte lors de ses errances dans le lycée, où une fois de plus il vient trouver refuge, après avoir encore été convoqué chez le proviseur pour avoir séché les cours. Qu’est ce qui le panique tant dans la menace du proviseur d’appeler ses parents ? Pour oublier tout ça, l’enfant se tapit dans l’abri poussiéreux où personne ne peut l’apercevoir et le juger, où il échappe enfin aux quolibets de certains élèves et des professeurs qui ne comprennent rien et se moquent de son apparence, ses bredouillis, toutes ses difficultés d’apprentissage dues à la dyslexie... Il aimait pourtant raconter et inventer des histoires, Julian quand il était petit, mais maintenant il n’arrive pas à lire autre chose que le vieux livre illustré rescapé de son enfance qui ne le quitte jamais. Il l’emmène dans la cachette où il s’enferme pendant l’heure de cantine avec son sandwich, et aussi souvent pendant les cours, pour relire encore et encore les aventures que lui lisaient ses parents quand il était petit.
Ainsi se passe l’heure du repas pour Julian... De son côté à la même heure, Adam déjeune et s’amuse à la cantine avec sa bande d’amis, planifiant une virée en voiture pour aller voir un  concert…
Adam se retrouve ainsi au lycée à devoir s’occuper de Julian, qu’il connaissait déjà mais avait perdu de vue. Enfants d’âges pourtant différents, ils fréquentaient les mêmes ateliers de lecture pour enfants en difficulté, la dyslexie pour l’un, l’hyperactivité pour l’autre – les symptômes de ces deux pathologies sont décrits avec beaucoup de finesse par l’auteur, au fil des souvenirs et du ressenti des deux garçons.
L’aîné n’arrive pas à reconnaître le petit garçon heureux de vivre, enthousiaste et expansif qui jouait avec lui à l’époque où ses parents vivaient encore. A leur disparition, orphelin sans aucune  famille, le petit garçon avait été placé chez la maman d’Adam, assistante sociale accueillant des enfants démunis dans son foyer. Les deux garçons partageant la même chambre étaient devenus très proches, Adam faisant office de grand frère pour Julian qui avait retrouvé un peu de joie de vivre dans cette nouvelle famille. Mais au bout de huit mois avait surgi un oncle par alliance de Julian, qui décidait de faire valoir ses droits sur l’enfant et de l’emmener dorénavant vivre avec lui, pour s’occuper seul de son éducation, l’enlevant brutalement à son foyer d’accueil dans lequel il commençait à retrouver un fragile équilibre.
Adam, qui n’avait jamais revu Julian depuis cette époque, est très content de le retrouver au lycée, où l’oncle vient de l’inscrire. Il s’intéresse à la vie de Julian, lui pose des questions auxquelles l’enfant préfère ne pas répondre directement, conscient de sa différence : il n’a pas ni téléphone portable ni ordinateur, porte toujours des vêtements sales et trop petits, n’a pas d’argent pour prendre le bus… Et ne peut pas avouer non plus qu’il préfère se cacher plutôt que de manger devant les autres son habituel maigre sandwich au beurre de cacahuète, seule nourriture allouée par son oncle… Et qu’il y a sans doute bien d’autres choses douloureuses qui le rendent différent des autres, et qu’il ne peut pas dire.
Le clairvoyant Adam voit bien que quelque chose ne va pas chez son jeune ami, avec persévérance et bienveillance il va chercher d’autant plus à aider Julian, malgré les dénégations et réticences de celui-ci. Adam toujours énergique force l’enfant à se mêler aux autres et cherche à l’intégrer à sa propre bande d’amis, l’emmenant au concert avec eux ou l’invitant à des fêtes… L’enfant silencieux et mal accoutré est plus ou moins bien accepté, plutôt mal par le jaloux Charlie qui ne comprend pas pourquoi son pote Adam passe autant de temps avec ce « débile », bien mieux par les copines d’Adam qui trouvent craquants les grands yeux tristes du petit garçon, et se font un plaisir de le relooker lors d’une soirée d’anniversaire. Adam accompagne aussi Julian chez la psychologue scolaire, l’aide à faire ses devoirs, l’emmène goûter chez sa mère très contente de revoir l’enfant dont elle s’était occupé et qui n’avait plus jamais donné de nouvelles. Il l’incite même à revoir sa maison d’enfance, là où l’enfant vivait heureux avec ses parents. Là, de nombreux souvenirs assaillent Julian, sans lui faire autant de mal qu’il l’aurait cru. Reconnaissant àAdam de vouloir l’aider, il est heureux de cette amitié qui lui apporte beaucoup et lui donne presque la sensation qu’il est un enfant comme les autres. Mais les secrets de Julian sont trop lourds à porter, et muré dans ses angoisses il n’arrive toujours pas à se confier à Adam, cet ami qui pourtant ne lui veut que du bien et n’est que générosité et bonne humeur.
L’étendue de l’horreur de la vie que mène Julian se fait jour peu à peu dans ses récits. L’orphelin n’a décidément pas eu de chance. Privé brutalement de l’amour et de l’affection de ses parents décédés, il a dû subir un nouveau traumatisme, obligé de quitter la maison d’Adam et sa maman, qui lui apportaient réconfort et confiance en lui, pour tomber sous la coupe d’un tuteur cruel qui le maltraite et l’isole.    
Depuis qu’il habite chez son « oncle » Russel, celui ci le frappe régulièrement et le roue de coups pour un rien. Par sadisme, l’adulte prend plaisir à venir molester et violenter la nuit, lui  frappant le dos jusqu’au sang avec une badine pendant des séances de torture interminables. Le bourreau abandonne ensuite sa petite victime dans sa chambre. Choqué et meurtri, l’enfant est obligé les jours suivants de manquer le lycée pour récupérer de ses blessures, et mentant ensuite sur l’origine de ses bleus, prétextant sa maladresse.
Adam a de plus en plus de doutes et lors d’une nouvelle journée d’absence de son Julian, il décide de lui rendre visite par surprise, sachant où il habite, pour voir ce qui se passe vraiment. Il se rend vite compte que quelque chose cloche dans la grande maison où loge Julian, emplie de meubles aussi luxueux que vides, à commencer par le frigo. Le propriétaire d’une maison pareille devrait avoir les moyens de payer à son pupille des vêtements neufs et de quoi manger, et aussi un téléphone portable…  D’abord heureux de la visite surprise d’Adam, Julian montre vite de l’inquiétude, son oncle est souvent absent mais lui a interdit de recevoir des visites, Adam ferait mieux de s’en aller. Perplexe le grand garçon obéit et s’en va, mais quand Julian ne retourne pas au lycée, il retourne voir ce qui lui est arrivé, prêt à ne pas s’en laisser conter…
In extremis, il sauvera son ami en le délivrant du coffre fermé par un cadenas dans lequel l’oncle tortionnaire rendu fou de rage par cette visite extérieure l’avait enfermé. Les pages décrivant l’enfermement de Julian sont terribles, l’enfant battu à mort n’a pour repères que les « 10 millions d’étoiles » phosphorescentes collées au couvercle du coffre, quelle idée de les avoir collé là dans la pénombre, comme s’il l’avait deviné par avance…
Si Julian n’avait pas croisé Adam sur sa route, que serait-il devenu ? Mais l’enfant est-il vraiment sauvé ?
L’épilogue du roman est mené dans un suspense haletant, qui voit l’oncle recherché par la police revenir chercher Julian dans une scène de bataille à la vie à la mort… Où l’on comprend que victime et bourreau sont aussi liés par un pacte invisible, le petit enfant n’arrivant pas à couper le lien avec le seul « parent » qui lui reste, incapable de le haïr malgré tout le mal qu’il lui a fait.
Le malheur et les souffrances de Julian, enfant exclu et victime de maltraitrance, rappelle ceux des petits pauvres de Charles Dickens, ou du petit Chose d’Anatole France. Le roman met en scène des situations tragiques et bouleversantes, réactivant des angoisses universelles : le sentiment d’abandon, la honte, la différence, le désespoir face à l’adversité.
Il y a quelque chose aussi qui rappelle la Nuit du chasseur, ce film de Charles Laughton où un homme démoniaque et sans scrupules se révélait prêt à tout pour spolier des orphelins et garder son emprise sur eux, dans cette histoire immémoriale d’abandon et de violence, de parâtre et d’orphelin, encore plus émouvante et effrayante avec son ancrage dans le monde d’aujourd’hui.
« 10 millions d’étoiles » (« Une liste de cages » en anglais, toutes ces prisons intérieures qu’on se forge soi-même et toutes celles dans lesquelles on peut se laisser enfermer) est avant tout cependant une histoire très forte d’amitié, de fraternité même, où seules pour sauver l’enfant de ses multiples emprisonnements et de la catastrophe annoncée entrent en œuvre les qualités de cœur de celui qui a cru en lui et vu au delà des apparences. L’amitié, la gentillesse, la patience et la clairvoyance d’Adam ont sauvé Julian d’une mort certaine, là où les adultes n’avaient rien vu. Comme inspirée de certains faits divers sordides qui ont fait l’actualité, l’histoire de Julian et de Adam n’hésite pas à s’enfoncer dans les pires méandres de l’âme humaine. Rares sont les romans jeunesse racontant des histoires aussi dures, où un jeune héros est menacé physiquement et moralement, victime d’un prédateur pervers, et de toutes sortes de harcèlements, laissé sans protection aucune. Si ce n’est celle de l’amitié, et les bonnes étoiles qui ont veillé sur lui.
Ce beau roman jeunesse truffé de dialogues (intérieurs aussi) se lit d’une traite, avec des accents de thriller et des moments très émouvants, et aussi des temps où on reprend son souffle, et devrait toucher enfants et adultes.
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