Volcanisme à Hawaï, les rivières de satin n'y sont pas si tranquilles

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

Volcanisme à Hawaï, les rivières de satin n'y sont pas si tranquilles
DIDIER JEUNESSE
 Jean-François Chabas :
 La Rivière de satin. 2019
 ISBN 978-2-278-09166-9 : 14,20 EUR
Bravo  - A partir de 11 ans

Pour faire court :

A la mort de ses parents, Sine est obligée d’aller vivre chez sa grand mère inconnue sur une île d’Hawaï. Accueil glacial, propos racistes, le climat familial est aussi suffocant que la fumée du volcan bientôt en éruption, alors que la terre se met à trembler. L’auteur livre dans ce scénario catastrophe une performance littéraire hallucinée avec sa description en temps réel de la fuite de toute une population devant la nature devenue folle. Pris entre rivières de lave en fusion, projections brûlantes, écroulements de falaise et failles béantes , jeté dans un tsunami et au milieu des requins du Pacifique, le lecteur reste pantelant. Une initiation à la culture hawaïenne pas de tout repos.  

 

 

 

Sine, adolescente de 15 ans, qui jusque là vivait dans un appartement à New York avec ses parents, se retrouve brutalement orpheline lors de la brutale disparition de ceux-ci, qui ont eu la mauvaise idée d’aller patiner sur l’Hudson gelé, et de s’y noyer. On fait connaissance avec l’héroïne de ce palpitant roman, mal embouchée et dotée d’un fort caractère, sur le tarmac de l’aéroport d’une petite île de l’archipel hawaïen. La jeune fille vient d’atterrir à des milliers de kilomètres de chez elle, obligée d’aller vivre avec sa grand-mère paternelle, qu’elle ne connaît pas. La vieille Abigail (ne pas l’appeler grand-mère) est depuis longtemps installée à Hawaï le plus récent des états américains, et vit seule au bord du Pacifique, pour fuir les hivers du Nebraska et surtout sa famille. Le père de Sine « n’aimait pas sa mère », et sa belle-fille disait d’elle : « c’est un monstre ». La grand-mère se révèle aussi indigne que sa légende, glaciale, autoritaire et peu curieuse de sa petite-fille qu’elle refuse d’embrasser. La jeune fille doit lutter contre le découragement, débarquée dans un paysage tropical à la chaleur suffocante, en butte à l’hostilité de celle qui est désormais sa plus proche parente, qui lui fait bien savoir qu’elle ne l’accueille que par devoir. L’abominable aïeule, une « authentique sans-cœur » qui ne s’intéresse qu’à ses parcours de golf est bientôt surnommée « Méduse » par sa petite-fille.

Sine est surtout choquée par la façon hautaine qu’a sa grand-mère dans sa grande maison de s’adresser à ses serviteurs indigènes, de façon ouvertement raciste. C’est pourtant par eux, Akoni le jeune et beau chauffeur de « Miss Abigail », et Iwalani sa femme de ménage, que l’adolescente a été la mieux accueillie. Ils lui ont expliqué le sens de leurs prénoms, et de beaucoup d’autres mots polynésiens, et lui ont présenté leur pays « Big Island », qui ne se réduit pas au village bien policé et propre où la jeune fille vient d’arriver. Waikoloa paradise, rebaptisé « Whiteland par Sine, est un «paradis de banquier », à la propreté impeccable et à la population ethniquement pâle, hormis les employés venus d’ailleurs entretenir les maisons des Blancs ou conduire leurs voitures.

La jeune fille est victime de crises d’hallucinations depuis la mort de ses parents, souffrant d’un syndrome dit « d’Alice au pays des merveilles » qui la fait soudainement se sentir grandir physiquement démesurément, jusqu’à s’évanouir. Sa grand-mère n’y voit que des simagrées déplaisantes bonnes à être punies, mais pour Holokai au nom à rallonge (plus facile de le surnommer « Lave », le nouvel ami couvert de tatouages que Sine vient de rencontrer sur les sentiers du village (faits de lave hérissée et coupante sur laquelle il est facile de trébucher), déjà au courant de l’histoire de la jeune fille, celle-ci dans ses crises serait capable de « voir l’autre monde », par delà la mort.  Sine apprend à connaître les autochtones, pleins de bienveillance envers la jeune New Yorkaise, et sont même indulgents envers sa pénible grand-mère, par devoir de respect aux ancêtres. Mais Sine n’a guère le temps d’apprendre auprès d’eux les secrets et les coutumes de l’archipel. Quelques jours à peine après son arrivée, les volcans rouges qui avaient déjà commencé à répandre une fumée piquante finissent de se réveiller, et la terre se met à trembler dans toute l’île. La grand-mère ne croit pas aux rapports alarmistes émis à la télévision, sûre que sa demeure a été construite dans un endroit sans risque. Cependant les secousses se multiplient sur Big Island, et toute l’île est menacée par la suractivité des volcans et les mouvements de failles.

Le roman bascule alors dans un scénario catastrophe qui va crescendo, et au lieu de l’attendu duel entre la grand-mère et sa petite-fille, suivi d’une éventuelle réconciliation sur fond tropical, on assiste à une surenchère d’effets spéciaux hallucinants, très bien menés par l’auteur, qui livre une prestation littéraire aussi brillante que terrifiante.

« La rivière de satin » (la lave serait donc comparable à du satin de la rayonne) cache bien son jeu sous son nom à la douceur trompeuse. Bientôt les volcans éructent, lâchant sur la population des bombes volantes incandescentes et dévastatrices. Le gentil chauffeur Akoni venu voir à bicyclette comment allaient Sine et sa grand-mère est fauché dans l’allée, traversé de part en part sous les yeux de Sine par une flèche de pierre tombée du ciel, suivie de mille autres. A partir de là le roman s’emballe, chacun devant fuir devant soi pour sa survie. Ce n’est plus contre une grand-mère hostile que Sine doit lutter, c’est contre la nature tout entière, devenue enragée.

Jamais lu encore de passages si réalistes et aussi durs, sur une éruption de volcan ou un tremblement de terre. D’habitude ce sont les dégâts des catastrophes naturelles qui sont montrés dans les reportages télévisés, c’est l’après coup, pas les événements mêmes du cataclysme.

Le roman nous transporte en état de choc d’un lieu à l’autre, on s’identifie à Sine qui n’échappe aux flammes volantes que pour mieux tomber dans l’océan (au milieu d’un banc de requins marteaux – ceux avec le museau en forme de T -heureusement trop stupéfaits pour l’attaquer), avec par tout un bloc de falaises se détachant les unes après les autres, entraînant hommes, arbres, maisons dans les abîmes.

L’héroïne échappe mille fois à la mort, louvoyant entre les chemins barrés par la lave galopante et les failles qui s’ouvrent sous ses pieds, sous le ciel rouge obscurci par le panache de fumée des volcans qui se sont donné le mot pour transformer le paradis blanc en enfer, n’épargnant aucune ethnie, riches et pauvres jetés dans la même fournaise.

Quand dans la pagaille Sine la fille du Queens retrouve le garçon aux tatouages venu à sa rencontre, leur coup de foudre est à l’unisson des éléments déchainés, les rochers volent et les entrailles de la terre crachent des bombes. « Lave » le bien nommé révèlera des qualités de cœur et de courage peu communes, capable de partir d’un recoin de l’île un peu protégé, pour accompagner la jeune fille chercher sa grand-mère, laissée sur une route défoncée, au milieu d’un chaos routier qui ne ressemble plus à rien. Moins animée que lui par l’esprit du lieu et le respect dû aux ancêtres, Sine doit se faire violence pour forcer l’entêtée Abigail à se mettre à l’abri, la jetant de force dans un 4/4 providentiel grâce auquel, pour un temps seulement, l’équipée parviendra à s’extirper du magma, toujours à deux doigts du gouffre.

Pas de happy end ni de retrouvailles familiales au bout du chemin entre Sine et la vieille femme restant aveuglée par son égoïsme et sa conscience de classe, même dans les pires moments. Mais Abigail par sa mort expiatoire fera acte de rédemption, choisissant délibérément de se laisser glisser du bord lisse d’une falaise et emmener par la vague à la place d’une petite Polynésienne en mauvaise posture, dans un sacrifice rien moins qu’héroïque.

Ceci se passe lors d’un tsunami qui vient encore en rajouter à l’horreur, dans une scène saisissante d’apocalypse où l’auteur décrit l’instant suspendu où petits poissons et monstres marins se retrouvent soudainement échoués au sec sur le rivage sur des centaines de mètres, animés de soubresauts, les ouïes palpitantes, alors que la mer s’est retirée pour revenir tout engloutir quelques minutes après. Les rescapés qui avaient pu fuir jusque là le long de la plage, surfeurs et famille en détresse, longue colonne de fuyards, sont alors pris au piège. L’auteur livre des scènes d’un réalisme insoutenable, rarement vues dans un roman jeunesse. Une scène d’horreur chasse l’autre, où le lecteur se met à la place de Sine et de son ami, percevant à travers eux tous les détails que leurs yeux enregistrent dans cette course pour la survie, la douleur qu’ils ressentent à chaque coupure, brûlure, blessure, fracture. Accompagnés dans leur folle course en avant par quantité de compagnons d’infortune, hommes, femmes, enfants et aussi animaux qui essayent comme eux de se défendre désespérément contre la folie des éléments, souffrances parallèles dont ils sont les témoins l’espace de quelques instants. L’ennemi, c’est la terre, devenue folle et imprévisible, faisant à chaque instant de nouvelles victimes, et aussi les pillards qui transforment les maisons encore debout en lieux de tous les dangers, comme si ça ne suffisait pas.

Ce roman, aussi efficace qu’un film catastrophe et aux accents de thriller accéléré, où le criminel impitoyable serait la nature elle même, mother earth mille fois plus indigne et injuste que grand-mère Abigail, nous aura fait traverser mille affres, décuplés par le caractère de vérité des faits décrits par son auteur. Si nos jeunes héros sont sains et saufs à la fin (pas de spoil, on sait dès le début que la jeune fille s’en sort, les faits étant racontés à la première personne et au passé), on aura touché du doigt le sort des victimes et des blessés, et ils sont nombreux.

Jean-François Chambas n’a pas été témoin des graves éruptions de 2018 dans la région, ayant terminé son roman prémonitoire un an avant. Le grand voyageur délivre ici un message d’ode à la nature, en la décrivant dans ce qu’elle peut avoir de plus effrayant. On ne sort pas indemne de ce beau livre, traversé autant par de constantes et profondes réflexions sur la nature humaine que par les saisissantes descriptions d’un son et lumière en cinémascope particulièrement éprouvant.

Même si on sait dès le début du livre Sine l’Occidentale - dont le prénom signifie en hawaïen « dieu miséricordieux » - va s’en sortir et adulte restera sur l’île, gagnée par sa magie tellurique, on aura tremblé pour elle à chaque instant.

Ce roman de survie haletant et particulièrement réussi offre aussi une initiation à la culture hawaïenne, où la famille reste le groupe fondamental, et où l’absolution et le pardon qui guérissent toutes les maladies peuvent prendre de mystérieux chemins. Un beau roman d’action et d’initiation à la fois, aux épreuves très loin de notre quotidien.  

 

 

Ils disent que Miloli’i a été entièrement recouverte par de la lave bleue
N’importe quoi ! … La lave bleue, ça n’existe pas !

Nous avons tous vu les images stupéfiantes plus tard. La lave de Miloli’i était aussi bleue que le ciel, à cause de la combustion des gaz sulfuriques à une température exceptionnellement élevée. Un bleu vif, luminescent. Quelle a dû être la stupeur, mêlée à une terreur sans nom, des habitants de ce village qui ont vu déferler sur eux cette vague étrange !

Publié dans littérature jeunesse

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