L’esquisse du bonheur (Starfish) / Akemi Dawn Bowman

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

L’esquisse du bonheur (Starfish) / Akemi Dawn Bowman

POCKET JEUNESSE-PKJ
(Territoires)
  Akemi Dawn Bowman ; trad. par Cécile Tasson :
  L’Esquisse du bonheur. 2019
  ISBN 978-2-266-28852-1 : 17,90 EUR

Starfish

L’esquisse du bonheur / Akemi Dawn Bowman

 

Age : à partir de 13 ans

 

 

Kiko Himura, adolescente vivant dans une petite ville du centre des États-Unis, née d’un père japonais et d’une mère blanche américaine anxieuse et complexée, est victime d’anxiété sociale : elle a du mal à s’exprimer et dire ce qu’elle ressent et s’angoisse facilement devant toute situation nouvelle, particulièrement quand il lui faut interagir avec les autres. Rencontrer des inconnus, ou  se retrouver au milieu d’un groupe lui est insupportable. S’il lui arrive de devenir un moment le centre de l’attention, pour quelque raison que ce soit, la voilà qui panique. A cause de ce comportement, Kiko n’a pas beaucoup d’amis et dépend émotionnellement beaucoup des rares qu’elle est arrivée à se faire, Emery sa copine d’école qui va bientôt déménager, et Jamie son crush d’enfance parti depuis des années en Californie, dont la soudaine réapparition la bouleverse.

Écrit à la première personne, le récit introspectif de Kiko la voit  constamment se poser la question de qui elle est, et n’arriver à aucune réponse satisfaisante. Elle se perçoit comme bizarre, différente des autres, et se persuade que les autres la aussi voient de cette façon, jusqu’à en frôler la maladie mentale. Au fil des pages on découvre une jeune fille hypersensible, se torturant de pensées moroses et dépressives, aux prises avec une impossibilité récurrente de dire exactement ce qu’elle veut dire, le langage lui manquant pour s’exprimer de façon authentique. Le roman se nourrit de l’introspection nuancée, fine et poussée de son héroïne, et c’est tout le talent de l’auteur d’avoir irrigué son livre tout du long de cette voix intérieure sensible, nourrie sans doute du propre vécu de métisse Américano-Japonaise de Akemi Dawn Bowman.

La faute en partie à sa terrible mère qui ne lui témoigne aucune vraie affection et ne lui prodigue pas une éducation épanouissante. A moitié Japonaise, elle se sent mal à l’aise et pas bien intégrée dans son collège de l’Amérique profonde, à majorité blanche. Pour autant, elle n’assume pas non plus son héritage asiatique, qu’elle ne connaît qu’à peine. Elle a du mal à trouver sa place dans le monde, fille de parents divorcés qui ne lui ont pas donné de repères familiaux structurants. Kiko est ses deux frères sont restés vivre après le divorce avec leur mère si fière de sa plastique de blonde avantageuse, tout le temps sur leur dos en train de dénigrer entre autres choses le côté asiatique de ses trois enfants, passant son temps à dévaloriser leur côté japonais qui à ses yeux n’a aucune valeur. Jamais celle-ci ne montre de la considération envers ses enfants, passant son temps à les critiquer et les manipuler, entièrement tournée vers elle-même, aussi toxique que narcissique. Le père, un Japonais-Américain, a refait sa vie avec une autre Américaine et est père de deux petites jumelles, et ne voit plus beaucoup ses premiers enfants, leur terrible mère empêchant autant qu’elle le peut ceux-ci d’aller le voir. Avec une mère si horrible, un père absent (mais qui aimerait voir ses enfants plus souvent) et des frères qu’elle ressent comme moqueurs et indifférents, Kiko n’a qu’une relation fracturée avec sa famille. Les deux garçons ont choisi de prendre sur eux et ne pas répondre à ses attaques fielleuses, quand elle dénigre leurs traits asiatiques ou se répand en critiques sur leur père et sa nouvelle vie, défendant à ses enfants d’aller le voir. Kiko est une fille obéissante qui n’ose pas faire face à sa mère et préfère garder la tête basse, endurant tant bien que mal les piques à l’encontre de son physique et de son caractère. Elle souffre beaucoup de l’indifférence de celle-ci par rapport à son travail et ses études, qui jamais ne la félicite ni ne s’intéresse à son quotidien autrement que par des sarcasmes rabaissants et inhibants. Quelle sorte de mère est-ce là, qui ne laisse jamais personne entrer chez elle et empêche ses enfants de sortir, dont le comportement monstrueux a fait s’installer chez sa fille un sentiment d’insécurité et d’anxiété sociale terrible ?

Kiko est douée pour le dessin, et après son bac a choisi d’intégrer Prism, une prestigieuse école d’art située à New York. Elle est sûre d’y être prise, et qu’alors sa vraie vie pourra commencer, enfin éloignée de sa toxique de mère, qui n’a jamais pris le temps   de consulter son dossier de demande d’admission, ni regarder ses derniers travaux. Un nouveau problème vient de surgir : la mère vient de proposer à son jeune frère Max qui vient de perdre son job de revenir vivre chez eux, comme autrefois. Kiko a très peur de revoir cet oncle abusif, qui est pour elle quelqu’un de pervers et malhonnête, car il a eu des gestes inappropriés envers elle quand elle était petite et qu’il habitait chez eux, alors que sa mère et son père étaient encore mariée. A l’époque sa mère n’avait pas écouté ni voulu croire sa fille, la traitant de menteuse, et Kiko n’avait rien osé dire à son père. D’ailleurs, n’est-ce pas cet incident qui a provoqué le départ de celui-ci du foyer ? Kiko s’est toujours sentie coupable du départ de son père suite à ça… L’idée que son oncle revienne dormir à quelques mètres d’elle réactive toutes les peurs de Kiko et son sentiment d’insécurité. Ses réticences ne font pas changer d’avis sa mère, qui ne la croit pas plus aujourd’hui et lui interdit de faire poser un loquet sur la porte de sa chambre, alléguant que Kiko a rêvé et tout inventé.

Heureusement, Kiko vient de retrouver lors d’une fête le seul vrai ami qu’elle ait jamais eu : Jamie, le gentil garçon blanc qui était son voisin autrefois, et son amoureux d’enfance, avant qu’il ne déménage avec ses parents quand elle avait dix ans pour la Californie. Elle ne l’a jamais revu et n’a retrouvé pareil ami que ce petit garçon avec lequel elle pouvait jouer et rire pendant des heures, créant un monde à eux. Il lui manque encore aujourd’hui, et elle pense souvent pensé à lui. Son départ avait été ressenti comme un abandon, à la même date que celui de son propre père. A sa grande surprise, Jamie réapparaît à la soirée de fin d’année que donne son amie Emery, à laquelle Kiko ne voulait pas aller sachant qu’elle ne s’y sentirait pas à sa place, appréhendant la foule et le regard des autres. Pour faire plaisir à son Emery sa seul amie proche elle a accepté d’aller, encore plus triste de savoir que celle-ci va bientôt quitter la ville pour partir faire ses études, la laissant seule. Curieux d’ailleurs que sa mère l’ait presque forcée à se rendre à cette fête, elle d’habitude intransigeante sur les sorties ;  sans doute une marque du besoin pathologique de reconnaissance et  d’intégration sociale, et de la crainte du regard des autres chez cette femme compliquée…

Mais pour une fois elle a bien fait, Kiko y a retrouvé à sa grande joie, et panique aussi, Jamie l’ami d’enfance qui lui avait tant manqué, et auquel elle pense toujours, sans rien oser lui dire de ses sentiments pour autant. Le beau jeune homme vit désormais en Californie et est revenu dans la petite ville de son enfance pour revoir de la famille. Lui aussi se souvient d’elle et de leur amitié et semble ravi de la revoir, voulant même prolonger leurs retrouvailles. Kiko est bouleversée mais coupe court et s’enfuit, elle est amoureuse et meurt d’envie de passer davantage de temps avec lui, mais sait qu’elle n’a aucune chance, avec ses cheveux noirs et raides, son nez rond et ses yeux bridés comme ceux de son père. Chez elle, c’est la compétition entre ses frères et elle sur qui aura l’air le moins asiatique des trois, et sa mère ne lui vante comme critères de beauté que les propres siens, poupée Barbie aux cheveux bouclés et aux yeux bleus. Si la mère ne s’arrête jamais de critiquer tout ce que ses enfants font, elle critique aussi, plus grave, ce qu’ils sont. Selon elle, Kiko n’est pas assez jolie, parce que donc elle ne lui ressemble pas, avec ses yeux trop petits, son nez trop large, son visage trop rond et ses cheveux noirs trop raides. Autrement dit, Kiko a l’air trop asiatique… Et Kiko se le tient pour dit, elle a depuis sa tendre enfance intériorisé tous les reproches maternels et s’est composée une personnalité en retrait.  Quand elle regarde des photos d’elle ou se regarde dans le miroir, elle ne voit qu’une fille aux traits trop asiatiques pour être jolie, qui ne sera jamais aussi jolie que les filles de sa classe, celles qui ressemblent à sa mère. Elle n’a pas le bon visage, elle n’est pas la bonne personne. Elle voit « une fille qui n’est pas d’ici, qui n’est de nulle part, une fille qui n’est pas assez bien ». Des petites phrases terribles dans le discours de Kiko, qui montrent bien comment un comportement parental déviant et pervers peut être déstructurant et générateur de troubles profonds de l’identité.  

L’acrimonie et l’aigreur permanente de sa mère depuis son plus jeune âge lui ont fait décidément perdre toute confiance en elle, et c’est encore pire aujourd’hui, plongée dans les affres de l’adolescence.

Seule échappatoire, l’intégration à l’école d’art à New York dont elle rêve… Malheureusement, une lettre à l’enseigne de Prism vient d’arriver au courrier. Sa mère l’a déjà ouverte, et semble ravie d’annoncer à sa fille que celle-ci est refusée et n’y a pas été admise pour la rentrée. Kiko n’a pas de plan B, n’ayant pas candidaté ailleurs, et elle n’a aucune envie d’intégrer l’université de sa petite ville. Désespérée, Kiko sait qu’elle doit partir et quitter son foyer anxiogène, encore plus sous la menace de son oncle invité à demeure, où elle ne parle pas à ses frères et ne peut pas compter sur eux, chacun vivant de son côté dans la maison et gérant comme il peut ses rapports avec sa mère. De plus, sa seule amie proche va partir, elle ne veut pas se retrouver seule et démunie face à sa mère et son oncle, qui ne l’a pas touchée et nie ce qui s’est passé, mais qu’elle soupçonne désormais de vol.

Heureusement il y a l’ami fidèle Jamie, qu’elle a accepté de revoir, et à qui elle a raconté ses problèmes, sans lui révéler la vérité sur son oncle. Jamie connaît bien la famille de Kiko et sa mère, il sait l’emprise qu’elle a sur ses enfants et comprend à quel point Kiko se sent insécure chez elle.

Tel le Chevalier blanc, Jamie va faire office de sauveur pour Kiko en l’invitant à séjourner chez lui en famille en Californie pour les vacances, le temps de chercher d’autres écoles d’art pour que la jeune fille puisse s’inscrire loin de chez elle. Alors, Kiko va faire ce qu’elle n’a encore jamais fait auparavant, prendre des risques. Elle décide de partir en Californie avec Jamie, pour se libérer sa vie de famille suffocante et de reconsidérer son plan de vie.  En dépit de ses peurs et de son anxiété, Kiko fera de son mieux pour profiter des nouvelles opportunités qui s’offrent à elle sur la côte ouest, et apprendra peut être aussi au cours de ce processus quelques petites choses sur elle au cours de son séjour, et aussi la possibilité de vivre en paix en accord avec le monde, loin du jugement négatif de sa mère, même si on soupçonne que l’emprise psychologique de son imbuvable marâtre marquera durablement Kiko.  

En effet, au delà de sa romance avec le si providentiel Jamie (leur arc amoureux prenant sans doute trop de place dans le roman, qui vaut plus pour son côté cheminement initiatique et portrait psychologique que par son côté sentimental très classique), l’autre vraie rencontre fondamentale de Kiko est celle de celui qui deviendra son mentor, Hiroshi un artiste Japonais Américain comme elle, rencontré lors d’un vernissage en Californie. Talentueux et reconnu, l’artiste la prendra sous son aile, ayant découvert le réel talent et les aptitudes artistiques de la jeune fille.

La relation entre les deux artistes, Hiroshi le peintre à réputation internationale et la jeune dessinatrice en devenir, donne une dimension supplémentaire au roman, qui risquerait sinon de s’engluer dans la romance et le drame familial, jusqu’au suicide du petit frère (finalement plus marqué que Kiko ne l’imaginait par le comportement destructeur de sa mère).  Leur rencontre artistique, née à la fois du talent de Kiko et de leur part japonaise commune, permet à la jeune fille de retrouver, sinon découvrir, l’héritage japonais dont elle a été privée par l’intolérance de sa mère, et l’absence de son père Japonais (on peut toutefois se demander pourquoi diable la mère de Kiko a eu trois enfant avec un Asiatique, si elle méprisait tant la civilisation et les caractéristiques physiques japonaises ; une des incohérences du livre qui aurait mérité une explication). Kiko n’est peut-être pas assez blanche pour être jolie, elle n’est pas assez Japonaise non plus, ne sachant rien ou presque de son héritage. Ses parents sont séparés, et depuis Kiko voit rarement son père, mais même à l’époque où ses parents vivaient ensemble, la culture japonaise n’était pas autorisée à la maison. Leur père avait bien essayé de faire aimer les films d’animation à ses enfants, mais leur mère n’aimait pas ça, alors ils n’avaient pas le droit d’en regarder. Le père aurait aimé cuisiner japonais, mais la mère disait que c’était trop gras et que ça sentait mauvais, alors il a arrêté. Rien de ce qui évoquait le Japon n’étant autorisé à la maison, Kiko n’a rien appris sur ses racines japonaises (quand on pense à la folie manga et à l’engouement actuel pour le Japon, on se demande vraiment si le personnage de la  mère n’est pas trop caricatural et impossible ! Allez donc empêcher en 2019 vos enfants de lire des mangas !).
 Accompagnée et guide par Hiroshi, Kiko ressent de plus en plus de confiance en elle-même, jusqu’à se risquer à explorer sa part d’
héritage
paternel, resté ignoré la majeure partie de sa vie, soumise au diktat maternel pour éviter les conflits. Hiroshi, lui-même mi Japonais mi Américain, est la personne idéale pour comprendre la jeune fille et lui faire découvrir petit à petit sa part japonaise, cuisine, décoration, art et civilisation.   

Et sa mère, dans tout ça ? Omniprésente au début du livre dans les pensées de sa fille et par son comportement intrusif, elle semble ensuite se contenter de quelques conversations téléphoniques avec sa fille partie en Californie, sans exiger fermement son retour (Kiko est encore mineure pour quelques mois). Cependant on peut sentir à chacune de leurs conversations, auxquelles Kiko coupe souvent court mais qui chaque fois la laissent dévastée, toute la jalousie et l’aigreur de la mère qui sent que sa fille lui échappe, et a su se forger sans elle des nouvelles relations et un mode de vie différent.

Au contact d’Hiroshi (et des baisers de Jamie), Kiko s’épanouit, retrouve ses racines asiatiques, découvrant au passage qu’il peut exister des familles non dysfonctionnelles. Hiroshi encourage Kiko dans sa créativité and et l’amène à s’interroger sur le sens de sa vie, et ses aspirations profondes. A travers la vie de famille offerte par Hiroshi, qui la présente à ses filles et à sa femme et la prend pour assistante d’atelier, à la place de sa propre fille partie à l’étranger, Kiko découvre ce que peuvent être des relations familiales saines et aimantes. La famille d’Hiroshi lui témoigne de l’amitié, et toutes ses conversations et ses séances de travail avec le maître sont très bénéfiques pour Kiko, qui avec son aide se sent capable d’aller de l’avant dans son art et pourquoi pas de se représenter une prochaine fois au concours d’entrée de l’école de New York, ayant tellement mûri et progressé… Ou pourquoi pas rester en Californie, où elle a enfin trouvé un foyer et des amis, et retrouvé son amour de jeunesse. Avec aussi la possibilité de revoir son père souvent, prêt à l’accueillir avec ses petites demi-sœurs jumelles, comme il le fait pour son plus jeune fils Shoji réfugié chez lui, sa tentative de suicide l’ayant définitivement éloigné de sa perverse de mère. Même le grand frère de Kiko a aussi l’esprit de famille ! Tout est bien qui finit bien, ou plutôt commence bien, car ce n’est que « l’esquisse du bonheur ». Tout est à construire pour Kiko, désormais sur de bonnes bases loin de sa mère. Pas un livre à offrir à la fête des mères !

 

A noter dans la construction du roman, chaque fin de chapitre est ponctuée de deux ou trois phrases énoncées à la première personne, par lesquelles Kiko brosse visuellement le dessin ou le tableau mental qu’elle a en tête, et s’en va tracer sur une feuille, comme autant de haïkus.

« Je peins une femme qui vole des cœurs, mais aucun ne comble le trou béant à l’intérieur de sa poitrine vide et obscur » 

« Je dessine une femme qui porte une robe sophistiquée et qui tourne sur elle-même comme si elle était la lumière et le soleil personnifiés. Puis je dessine une fille recroquevillée sur elle-même, emprisonnée dans son ombre. Elle ne veut pas la lumière. Elle veut juste sa mère »

« Je dessine cinq femmes japonaises aux visages très différents, aussi belles les unes que les autres, car il n’existe pas qu’une seule forme de beauté »

« Je dessine la lune qui enseigne au soleil comment briller »

« Je dessine des milliers de fées qui tournent autour d’une fille pour l’aider à s’envoler enfin » 

« Je dessine un dragon qui brise ses chaînes et comprend enfin à quoi servent ses ailes et ses flammes »

A noter également, le titre original du roman est « Starfish », traduit en français par : « L’esquisse du bonheur : la nouvelle vie de Kiko ». La couverture du roman dans son édition anglaise arbore un magnifique dessin de méduse, il faut chercher l'étoile de mer toute petite, flottant dans son ombre. L'empreise familiale de Mère Médusa ? Le titre français : "L’esquisse du bonheur : la nouvelle vie de Kiko", un peu gnan-gnan, veut évoquer le côté artistique de son héroïne, faiseuses d’esquisses, qui oui entame une nouvelle vie qu’on espère riche en bonheur. L’étoile de mer du titre original fait référence à un motif récurrent dans l’œuvre plastique de Kiko fascinée par les animaux sous-marins, qui parsème ses tableaux d’étoiles de mer, figures stellaires bien marquées. Les bras de l’étoile peuvent symboliser tout aussi bien le scintillement de l’étoile et son côté lumineux, que le rayonnement insidieux et possessif de l’influence de la mère.

 

 

 

Quelques bémols : on peut regretter que l’auteur ait choisi des couleurs aussi tranchées pour certains caractères principaux : la mère abusive de Kiko ne sort jamais de son rôle démoniaque quasi caricatural, dépeinte comme un monstre impardonnable poussant ses enfants au suicide ou à la folie ; il n’y a pas de rédemption pour elle, et jamais ne s’éclaire pour le lecteur le pourquoi éventuel de ses faiblesses et ses défauts. Un lecteur adulte averti des travers humains pourrait comprendre d’où peuvent venir les errances comportementales de la mère, vraisemblablement névrosée et porteuse de terribles failles narcissiques, mais un jeune adulte (YA) ou un grand enfant risque de porter un regard choqué sur cette mère indigne qui ne se rattrape jamais. Sinon en laissant la liberté de partir à sa fille, et en ne la violentant pas physiquement ni en l’enfermant dans un placard autre que celui forgé par ses complexes. N’est pas Folcoche ou Madame Lepic qui veut. D’ailleurs, toute pétrie d’anxiété sociale Kiko soit elle, celle-ci se voit déjà au début du livre entrer à l’école d’art la plus prestigieuse du pays. Comment pourrait-elle se l’offrir, sa mère se plaignant de difficultés pécuniaires et n’ayant pas les meilleures dispositions à son égard, incohérence à relever dans le scénario…

Dommage aussi que le personnage de Jamie, un peu trop beau pour être vrai, soit décrit uniquement comme le chevalier servant qui attendait Kiko par-delà les années, resté entièrement dévoué à sa cause, tout juste dépeint comme un joli garçon généreux, sans aucun approfondissement de sa personnalité. On apprendra le pourquoi de son départ précipité avec ses parents en Californie, et là encore la mère de Kiko est à incriminer…

Les amis que se fait Kiko en Californie sont aussi des modèles d’encouragement et de bienveillance, famille d’Hiroshi et jeunes gens un peu trop angéliques et tracés hâtivement.

 

Le sujet à l’honneur est la complexité des relations familiales autour de Kiko, à la fois victime et héroïne de sa propre histoire, comprenant de mieux en mieux sa propre situation grâce à ces incroyablement bienvenus “adjuvants” que sont son amoureux Jamie et son mentor Hiroshi. Illustration réussie, et originale par le choix de ses personnages, d’un parcours atypique, ou comment les plus faibles peuvent arriver à surmonter épreuves, souffrance psychologique et les murs de la maltraitance mentale, ce roman mérite d’être lu et retient l’intérêt. 

Même si tous les éléments du récit ne persuadent pas, celui-ci malgré ces quelques  incohérences brosse la peinture subtile, émouvante et convaincante du cheminement intérieur d’une jeune fille, qui évolue d’une attitude de défense passive jusqu’à une courageuse réalisation de soi. 

Ce roman ambitieux brasse de nombreux sujets, dont chacun d’entre eux suffirait à occuper un livre entier. Il y est question d’abus émotionnel, d’abus sexuel, de racisme, de problèmes de santé mentale (le personnage très borderline de la mère, essaimant son mal être sur ses enfants) et aussi de suicide, de premier amour aussi et de drame familial, sans oublier de mentionner la notion d’identité personnelle…  Avec autant de filons parcourus, les lecteurs jeunes et adultes devraient forcément trouver quelque chose qui les intéresse au fil des nombreuses pages de ce roman, à apprécier sa juste valeur comme bonne pioche dans la production littéraire pour jeunes adultes, malgré certaines faiblesses comme d’avoir laissé des personnages un brin monolithiques dans leur présentation, Jamie en sauveur-type et la mère de Kiko en archétype de monstre super narcissique incapable de sortir d’elle-même.

 

Plus qu’un livre de plus sur l’angoisse générale devant la vie éprouvée par les adolescents, on a là un livre plus orienté sur le problème de l’anxiété sociale, et ses multiples causes, sujet pas si traité. Ce roman typiquement « young adult », présente un regard délicat et une approche sensible de la mentalité adolescente, capable de résonner avec la part d’insécurité et d’anxiété au fond de chacun d’entre nous. Une histoire familiale de recherche d’identité, à la poursuite du bonheur de trouver son moi véritable et de réalisation personnelle. 

Le roman de Akemi Dawn Bowman a été finaliste du William C. Morris Award, élu meilleur livre pour adolescents à la New York Public Library en 2017, et présenté sur la liste de la Junior Library Guild Selection

 

L’esquisse du bonheur (Starfish) / Akemi Dawn Bowman

Publié dans littérature jeunesse

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