Niko et le pinceau magique / Delphine Laurent

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

Niko et le pinceau magique / Delphine Laurent
SCRINEO
  Delphine Laurent : 
  Niko et le pinceau magique. 2019
  ISBN 978-2-36740-833-0 : 9,90 EUR

 

 

 

A partir de 9, 10 ans - Intéressant

 

Un court roman illustré, qui se lit vite, et présente une typographie changeante, au cœur des pages certains mots s’écrivent en polices différentes, en gras, en majuscules sans qu’on sache pourquoi ils ont été ainsi distingués par l’auteur. La romancière Delphine Laurent, maman, professeur de biologie a longtemps étudié les dauphins à Hawaïï puis en Floride, comme précisé en préambule. Cette scientifique a pourtant choisi de situer son roman dans l’imaginaire et le fantastique, dotant ses trois héros, « gamins de CM2 » du plus extraordinaire des super pouvoirs, faire apparaître ou se réaliser ce qu’on désire le plus, grâce à un pinceau magique…

Niko, 10 ans et demi, vit seul avec sa maman, qui ne sait pas quoi faire de lui quand s’annonce à l’improviste la troisième grève de l’année à l’école (air connu).  La voisine Mme Martinez n’étant pas disponible, la maman, aide à domicile chez des personnes âgées, décide d’emmener son fils chez un des vieux messieurs chez qui elle fait le ménage. Pas question que Niko reste chez lui tout seul, de toute façon il est le seul de l’école à ne pas posséder de portable, sa mère disant qu’il « finirait par passer tout son temps dessus » et que « ce genre d’engins volerait mon imagination et assassinerait mon enfance ». Pas question non plus d’aller traîner chez Ahmed, pas assez surveillé au goût de la mère de Niko, « qui exagère et voit le mal partout ». La maman de son meilleur ami Ahmed est bien plus cool, qui le laisse rentrer seul à la maison à pied, manger des céréales devant la télé en guise de dîner, ou jouer au parc jusqu’à tard » sans faire tant d’histoires. Tout vaudrait mieux pour lui que le cauchemar qui s’annonce : « rester coincé tout l’après-midi assis sans broncher sur un canapé inconnu », chez un de ces petits-vieux qui n’ont ni ordinateur ni jeu vidéo, en « tremblant à l’idée que la personne âgée exhume d’un tiroir un bonbon ou un chocolat périmé depuis des lustres… » S’égrènent dans la bouche de l’écolier les perles d’un réjouissant chapelet de préjugés des enfants envers les vieilles personnes, suspectées de saleté et autres joyeusetés.

Il est pourtant très agréable ce vieux monsieur Lepage, dont « toutes les dents semblent être présentes à l’appel », alors que que Niko l’avait imaginé « en vieux Gollum » - le personnage ambigu et multiple du « Seigneur des anneaux ». On apprendra un peu plus loin que Niko « a détesté le dernier Batman », ultra brèves références pour initiés à la littérature et cinéma fantastique, laissées sans suite, mais pas si gratuites : il y a en effet quelque chose de l’anneau à la fois surpuissant et maudit de la saga de Tolkien dans ce pinceau du fond des âges, avec sa virole argentée… Pour Batman, laissez-moi réfléchir…

« Il doit y avoir chez lui autant de livres que dans la médiathèque de mon collège » remarque Niko (tout Jules Verne en cuir relié, apprendra-t-on plus tard), et « c’est très propre et bien rangé, on se croirait presque dans un magazine » .  Aussi charmant que sa maisonnette de conte de fée en bordure de forêt, le vieux monsieur a préparé un bon goûter pour le fils de son aide-ménagère et engage vite le dialogue avec l’enfant qui ne se sent finalement plutôt bien en sa compagnie, ne serait-ce l’absence de sa chère Nintendo… Pour distraire l’enfant, le vieux monsieur va chercher un objet mystérieux qu’il tire d’une jolie boîte de bois rouge ornée de motifs, rapportée d’un voyage au Japon. A l’intérieur reposent un beau pinceau de calligraphie ancien, aux longs poils soyeux et orné de gravure et d’oiseaux et de dragons, posé sur des feuilles de parchemin jauni. Monsieur Lepage a maintenant un drôle d’air, les yeux flous, comme parti très loin il incite l’enfant à se saisir du pinceau, lui murmurant : « Quand quelque chose te manquera, quand tu désireras quelque chose plus que tout, Niko, dessine-le avec ce pinceau. Dessine le monde tel que tu le rêves. Dessine, et qui sait… »

Le roman de Delphine Laurent n’est pas une ode symbolique à la calligraphie japonaise ou à la pratique libératrice de l’art du dessin et de la peinture, mais plutôt une incitation à rêver et chercher ce dont on a le plus besoin. On apprendra à la toute fin que malheureusement le pinceau ne peut faire apparaître ni les personnes disparues ou désirées, ni le temps supplémentaire qui manque toujours. Pour la solution à la faim dans le monde et l’arrêt des guerres et du réchauffement climatique, rien n’est spécifié.

Mais nul besoin d’encre ou de peinture au bout de ce fabuleux pinceau pour faire apparaître l’objet de ses désirs, comme  s’en aperçoit bientôt Niko, qui ébauche de la pointe sèche du pinceau la forme d’une vague de la mer, la première idée qui lui passe par la tête, et la voit bientôt surgir aussi nette qu’une photographie, dans ses moindres détails, sur la feuille de papier. Comme se dessineront tout seuls aussi vite, sur la deuxième feuille fournie par Monsieur Lepage, la télévision et le jeu vidéo qui manquent tout de même drôlement au décor de sa vieille maison. Et l’incroyable se produit, quand le lendemain Niko retourne chez Monsieur Lepage avec sa mère (car la grève continue, ah l’effet magique des grèves !), c’est « un truc de fou », une télé high-tech et des jeux derniers cris ont fait leur apparition dans la maison du vieux monsieur. Il ne doit plus avoir toute sa tête, ce pauvre vieux Monsieur Lepage, ou bien alors c’est un magicien… Qui a choisi de partager avec le garçon le secret de toute sa vie, son vieux pinceau magique venu du fond des âges, reçu en cadeau lors d’un mystérieux voyage en Orient et même de le lui offrir et le lui remettre, ce pinceau magique doué de cet immense pouvoir, lui faisant confiance pour en faire bon usage. Car Monsieur Lepage vieillit, et le pinceau lui a déjà beaucoup servi, et pas toujours pour son bien, lui qui à la fin de sa vie est tout seul et sans famille (mais c’est Bilbo !).

Plutôt génial ce cadeau, mais un peu lourd à porter pour Niko, qui brûle d’en parler à ses meilleurs copains, Ahmed qui « est assez spécial, unique comme disent nos mamans », autiste Asperger surnommé « l’Asperge » au collège, si différent avec sa voix monocorde et son comportement déroutant pour les autres. La troisième de la bande c’est la jolie et intimidante Kitty la nouvelle de la classe, fraîchement débarquée des Etats-Unis avec sa tignasse de métisse et ses taches de rousseur, qui trouve que tout manque de « pétillant » ici et serait tellement surprise de savoir ce que Niko transporte dans son cartable, au milieu des biscuits du goûter… Un jour au parc, Max la grosse brute du collège qui passe son temps avec ses sbires à intimider, harceler et voler les petits, s’en prend aux trois amis sans défense, et vole la carte Pokémon préférée d’Ahmed, bouleversé même s’il est incapable de montrer ses émotions, par son handicap. C’est le moment pour Niko de révéler son secret à ses amis, et pour le pinceau magique d’offrir ses bons offices, et trouver son usage en venant à  la rescousse dans le plan « crashe Max » imaginé par les trois amis pour châtier le grand costaud et l’empêcher de nuire, car à ce moment là c’est « ce qu’ils désirent le plus au monde ». Mais Max la menace a peut être aussi un secret et ses raisons pour être si méchant…

Le pouvoir magique du pinceau qui dessine tout seul et concrétise les souhaits de son possesseur, comme un autre genre de lanterne d’Aladin venu des contes d’Orient, n’est jamais expliqué et reste à l’état de mystère. Le propos du roman est moins celui d’un conte à effets spéciaux et spectaculaires que celui d’une histoire à hauteur d’enfants, menée finalement de façon assez réaliste et avec bon sens, s’appuyant sur un postulat et une connotation gentiment fantastique, moins dans le but de faire rêver que celui de mieux appréhender le monde et les désirs qu’il suscite aux enfants.

On peut être d’abord un brin agacé par l’irruption rapide du fantastique dans le roman, pourtant au début bien ancré dans la réalité du quotidien d’un collégien déluré et à l’esprit fort critique. L’entrée en scène de ce pinceau aux pouvoirs démesurés, mis entre les mains d’un enfant banal aux convoitises high-tech bien de son âge et de sa génération, invraisemblable postulat sur lequel s’appuie tout ce roman, dont les ficelles un peu artificielles n’entachent pas pour autant le plaisir de lecture, empreinte d’un humour qui perdure tout du long. Il s’en dégage des choses assez justes et aussi une leçon, celle qu’il faut bien choisir ce que l’on désire, objets à faire apparaître ou réalisations à effectuer dans sa vie. Tout souhait réalisé peut avoir des conséquences funestes, ou pas, et dans la vie il n’y a pas toujours de second pinceau magique (attention spoiler) pour effacer comme par enchantement et faire disparaître ce qu’on a mis au jour. Autant réfléchir avant de laisser dessiner le pinceau trop vite et demander la lune une fois de trop, une autre version de tourner sept fois sa langue.

Rien de bien philosophique pour autant, le roman de Delphine Laurent est contre toute attente bien ancré dans la réalité et permet au jeune lecteur, entre les lignes et les mots (mais pourquoi certains mis en gras ? le pinceau aurait tracé tout seul ?) d’une aventure d’amitié pleine d’humour et de sensibilité, vivante et facile à lire, de commencer une réflexion sur les conséquences de nos actes dans la vie, et sur le libre arbitre. « Ce qui peut nous sembler être la meilleure ou la seule solution à un moment donné ne l’est pas toujours avec le recul… » En passant par l’éveil du sentiment amoureux « je me sens toujours bizarre quand je suis seul avec elle, une part de moi est nerveuse, va savoir pourquoi, une autre ravie, je me sens à la fois bête et super malin », l’éloge de la différence (caractéristiques « sans filtre » de l’autisme Asperger), et l’écoute des conseils des personnes âgées. C’est fou l’effet de ce pinceau.

 

 

Publié dans littérature jeunesse

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