Autobiographie d’une licorne / MaÏté Bernard

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

  Autobiographie d’une licorne / MaÏté Bernard

Maïté Bernard :

  Autobiographie d’une licorne. 2020

  ISBN 978-2-7485-2705-6 : 17,95 €

 

 

A partir de 13 ans 

 

Ca commence bien puis à 150 pages sur 434 on se lasse de ce Young adult creux et superficiel, hyper bavard, écrit façon journal (non écrit, elle raconte juste sa vie), bourré d’adresses au lecteur (“Vous avez bien entendu ? Vous avez compris ? Vous avez suivi ? Je vous ai pas dit…) raconté à la première personne par Carmen, 16 ans. “Petite, brune, typée, ça correspond au prénom”. Lycéenne à Foix, en Ariège, “la plus petite préfecture de France”, habite Ax près de Tarascon-sur-Ariège un village de montagne. Seuls les noms de lieux sonnent vrai. La grande affaire de Carmen ? C’est qu’elle se sent, se sait “bi” (pas gay, ça serait trop simple). A la fin du pavé, se sera “outée”, arborera un T Shirt moulant bleu et rose “je suis bi”, on est content pour elle. Entre les deux, rien que des péripéties à rallonge, du remplissage inutile qui noie complètement les réelles pépites du texte et trouvailles de l’auteur,, glissées entre des scories triviales et inutiles. qui se laisse emporter par sa verve et ses facilités. Retenir par exemple la justesse des notations psychologiques, avant de se laisser embarquer par le menu fretin de l’autobiographie moi moi moi de Carmen la bi que personne ne peut plus ignorer. Comme “tu crois en moi, c’est une sensation incomparable” ; “c’est dans les moments de vulnérabilité qu’on est les plus vrais”, etc. Le vrai travail serait de les mettre bout à bout, on aurait enfin peut être un bon bréviaire de pensée positive et de tolérance aux autres, un truc YA utile et bien tourné, sur une fille qui doit trouver la manière d’arrêter d’être conciliante avec tout le monde et ne pas faire de vagues.

Le lecteur embarqué se retrouve avec un emploi du temps chargé de cours de lycée, de trajets de bus scolaire. Toute une scolarité de seconde à suivre, où se glissent par le truchement des profs quelques informations intéressantes, un peu plaquées didactiquement, mais toujours bonnes à prendre, le lectorat visé passe son bac bientôt. Au programme d’histoire, la milice pendant la 2de guerre mondiale, le Watergate... Au programme de français, une disserte, “les enjeux de l’autobiographie”. Nous voilà au coeur du sujet, rappel du titre “Autobiographie d’une licorne”. Rappel de Martin Gray et de Simone Veil, et de celle de la courgette. L’auteur a potassé son sujet young adult, tout pour leur plaire, bel effort à saluer pour cette native de l’année 1970 qui fait illusion sur son âge, ayant bien en main toutes les références ad hoc pour glisser force ’allusions à la culture pop ciné musique séries (Naruto ! Assassin’s Creed !) du moment, avec cerise sur le gâteau Meghan Markle en idole beauté, le séduisant côté princesse rebelle sans doute. Surprise de voir que cette auteure reconnue est née en 1970, tant elle parsème son livre de clins d’oeil et de références correspondant à l’âge des personnages. Tout en parlant de choses complètement réservées aux adultes : l’usage de Waze par l’ado qui descend de la montagne la nuit pour retrouver son flic improbable (ça doit être un souvenir hot perso que l’auteure s’est fait plaisir à placer là, pas possible autrement) ; les descriptions de l’Ariège Guide Michelin ; les propos du notaire, le twist du papy fraudeur aux impôts, là encore vlan des détails comptables… Du djeune et du vieux, pour tous les dégoûts... Le fil conducteur c’est la reconnaissance “bi”, mais rien de profond vraiment, de réelle émotion. On a l’impression que l’auteur a mis des éléments à la mode, dans l’air du temps, pour construire une intrigue qui part dans trop de directions. Carmen a perdu sa mère bébé, elle n’en reparle jamais, élevée par ses grand-parents, on a des tonnes de “j’adore Mami et Papi”, mais rien de bien étayé. Au déroulé du testament, on apprend, entre autres histoires de succession (pas très licornes) que Papi depuis dix ans trompait sa femme et avait un fils caché, et Mamie n’a rien vu, se sait , “cocue” (le mot revient plusieurs, c’est élégant, comme de savoir que Papi bandait avec du viagra, une couille dans le potage). “Il ne leur laisse rien, juste la moitié de sa retraite : 500 euros” : incohérent, la grand-mère avait les moyens de s’offrir des liftings chez l’esthéticienne, et encore elle ne connaissait pas sa rivale de dix ans plus jeune. On est ébahi par la débauche de détails (l’heure du micro-onde, la sortie du chien, le remplissage de sa gamelle etc. ad nauseam), qui n’apportent rien, juste pour remplir. Donc point de départ, le grand-père vénéré qui trompe Mami. Du coup, elles font les corbeaux et inondent le village de lettres anonymes (le mot “cocue” revient beaucoup. Entre temps, Carmen nous assène qu’elle déteste son père, pas bien expliqué. Une randonnée à la neige avec lui est pourtant bien décrite. On comprend à la fin du livre, en lisant les remerciements et la postface de l’auteure, que celle ci n’a absolument pas cherché à écrire un livre sur les ados, ni sur l’homosexualité (ni sur les gilets jaunes, présents aussi en guest stars). Juste un “hommage” à une année de travail passée dans les Pyrénées en milieu hostile, mais “sidérant de beauté”. C’était donc ça qu’il n’y avait que les paysages ou les noms de lieux de St Girons, Foix etc. qui sonnaient vrai. Question quête sentimentale, on est servi : la fûtée Carmen n’a pas trop d’état d’âmes et rencontre plein de filles et de garçons, fallait pas qu”elle s’”inquiète. Son premier crush c’est pour un “fllic” de 25 ans, tombé amoureux d’elle dès qu’il la voitqui ne l’arrête même pas quand il la surprend en pleine nuit à 30 km de chez elle, voulant lancer une pierre dans la vitrine de la femme fatale rivale de la grand-mère ; et c’est le pompon au volant de la voiture de son grand-père, qu’elle conduit sans permis et de main de maître (alors que plus loin la délurée Carmen se demande si le vinaigre balsamique fait aussi bien que le vinaigre blanc pour nettoyer la cuisine !!!). Faut il mentionner que la maîtresse (dont on ne reparlera pas tellement par ailleurs, juste un nom sur un très long name dropping) est à la tête d’une entreprise de pompes funêbres ! Ca sent très fort l’allusion (gratuite, comme tout le reste) à la série 6 feet under, l’auteure par la bouche de la baaavarde Carmen faisant comprendre qu’elle adore les séries US. Où les ados conduisent tous, elle a transposé ça en France - on a eu droit à la liste de tous les villages traversés, ça au moins l’auteure connait). Le flic coup de foudre l’emmène boire un chocolat et lui dit qu’elle est jolie mais a peur du détournement de mineure. Il y aurait là matière à un ou deux romans déjà, mais non, il faut subir une multitude de cours de maths, de petits déj avec Mami dépressive, puis Mamie airbnb qui loue gay friendly (mais c’est Carmen de 16 ans qui mène la danse, normal). Le truc important ça pourrait être les rv à l’association LGBT.Q de Foix. Pas grand chose n’est dit d’intéressant, ce sont des dialogues, des rencontres avec les permanents de l’agence, des commerçants, qui brouillent l’intrigue, ni queue ni tête. Les amis d’enfance sont présents, mais pas approfondis non plus, on est noyés sous les personnages sans oublier les chiens et chats. Carmen a des liaisons, des flirts, qu’elle trouve bingo à l’infirmerie, ou en salle de classe. Pas de réflexion, pas d’émotion. Juste un déroulé interminable de situations un peu invraisemblables, qui ne racontent pas grand chose. Style rigolo mais limite rédaction de troisième, avec nombre de vulgarités. L’ouvrage s’étire trop. L’héroÏne est sympathique, mais je n’y ai pas cru. Trop c’est trop. Pourtant l’auteure a écrit la série à succès Ava (et les fantômes), des polars, des romans sur divers sujets. Là, elle distille plein d’éléments à priori pas inintéressants : le deuil du grand-père, le sentiment de trahison (la petite fille se sent autant trompée que la grand-mère), l’éducation sentimentale, l’amitié… Avec toujours des petites phrases rigolotes qui font mouche, c’est la seule raison pour laquelle on continue à tourner les pages de cette parfaite panoplie de l’ado (provincial, tiens une originalité), estampillé licorne authentique. 

Reste un ton enlevé, enjoué et vif, le livre ne prête pas à pleurer, quelques citations pour lui rendre justice, si elle avait fait plus court on aurait pu être amies avec la Maïté la spécialiste  young adult, qui a quand même un excellent sens de l’humour (et pour moi ça veut dire beaucoup, tout est (presque) pardonné).

“comme une ado qui veut juste comater devant la télé avec ses granola”, le copain joyeux “comme un labrador à qui on a permis de creuser”, 

Carmen a de la chance dans son malheur (et encore, a-t-elle pensé à prendre des nouvelles de ce nouveau membre de la famille, cet oncle de 9 ans que son grand-père lui a fait dans le dos ? Reproche à l’auteur, elle a négligé d’exploiter la piste de la famille recomposée, ça lui aurait fait cinquante pages de plus). Une chance inouïe, dans son bled de montagne, que n’ont pas d’autres personnages de la littérature gay pour la jeunesse, et des Parisiens en plus. Carmen tombe toujours sur les bonnes personnes, rencontres improbables avec un dentiste qui lui explique ses crises d’angoisse, un flic sexy qui lui explique la physiologie de l’adolescence (c’est qu’il a fait une fac de sciences), elle tombe pouf comme ça dans une boutiques de déco si cute sur des femmes lesbiennes, ou membres LGBT.Q qui lui expliquent tout bien, tout est bien trop facile, et même qu’elle ne se viande même pas en voiture dans ses parcours jackass sinueux sous la neige, même pas punie par la maréchaussée sous le charme (mais quand elle ne met pas la table, par sa grand-mère si).

S’ajoute à l’ensemble quelques rappels à une actualité qui ne l’est plus (Gilets jaunes) qui peut plaire. Faute de croire en son sujet, l’auteur a du souffle mais nous essoufle (accable) de tartinage. En rajoute encore à la toute fin, c’est pas fini, dans sa postface de plusieurs pages l’auteure ne saura parler que du cadre géographique de son ouvrage, et autres trucs persos et anecdotiques au regard de l’intrigue certes géolocalisée, mais les Pyrénées (hormis une rando) n’ont pas plus d’importance chez notre licorne que les menus de ses petits-déjeuners, ses binge-watching d'épisodes de séries et le rendu exhaustif de ses conversations les plus minimes avec tout le monde, animaux compris. Dommage que Maîté Bernard n’ait rien trouvé d’autre à raconter en postface  d’un ouvrage censé parler de trucs sociétaux concernant les ados. Ben non, le beau décor des Pyrénées qui l’ont tant marquée, et le souvenir des apéros avec ses bons potes bricoleurs qui lui ont installé son chouette appart à la montagne avec cheminée et vue sur la montagne. Qu’est ce qu’on s’en fiche, es bras m’en tombent. Le vrai sujet du livre serait peut être de la réhabillitation de la vie près de la montagne, en village ou petite ville, au yeux des ados qui voudraient aller vivre leur vie en ville (seule échappatoire pour les gays), et quitter leur désert culturel exposé aux yeux de tous. Sans partir plus loin toutefois que chez “ces imbus de Toulousains”… Mais l’auteure est versaillaise, ça aussi ça fait plouf. Et pas la peine de se donner toute cette peine, avec le confinement tout le monde rêve déjà d’une maison dans les Pyrénées.  Pas très crédible non plus la vie de clocher qu’elle décrit, qui commence avec l’éclat de Mami-Cocue-, ex Miss Toulouse au lifting, toujours si belle à 60 ans, femme au foyer confiture victime de son cochon de mari, de son veuvage toute fraîche, venue fièrement bille en tête régler ses comptes avec ses bonnes amies cancanières qui ne lui ont rien dit, et même le curé et sa bonne (!!), au café de la place, démarre dans une ambiance Don Camillo complètement vieillotte, pour nous faire croire 200 pages plus loin que tous les élèves de la classe de Carmen adhèrent à la CGT et sont sur les ronds-points avec leurs gilets jaunes de parents. Alors qu’absolument aucune approche sociologique dans tout le bouquin, à part les considérations plutôt justes sur les interventions de l’asso LGBTQ, mais jamais incarnées par des personnages véridiques. Autant d’approximations opportunistes...

A lire si on aime se noyer dans les détails… Mais son roman bingo risque d’être un coup de coeur chez les amateurs de littérature facile, légère et vite oubliable, parce que ça pulse un peu et que l’auteur a bien compris et fait siens les gimmicks de l’époque. Déjà, “licorne” dans le titre. Aurais du rester sur mon impression à la lecture des deux trois pages presques blanches du début, en gros “Je suis lesbienne… Vous êtes encore là ? une page blanche plus loin : Je suis bi, Vous êtes toujours là”, qui donnent envie de lâcher l’affaire dès l’ouverture du livre.

 Maîté Bernard est invitée dans tous les salons et a l’air très sympathique, je passe sans doute à côté d’un chef d’oeuvre… J’ai bien aimé la plupart de ses blagounettes et son ton virevoltant, l’ambiance est légère, mais très vite quand même on n’en peut plus non de  tous ses malheurs-découvertes-bonheurs-doutes sur SUIS JE BI ? AI JE RAISON DE VOULOIR ETRE BI PENDANT TOUTE MA LAIIIFE ? (d’ailleurs on apprend si on ne le savait pas que “bisexuel” c’est “ancien”, old school, préférer l’adjectif “fluide”... Mais tous les éléments sensibles et pertinents sont noyés je me répète moi aussi dans une profusion indigeste de salmigondis jeunesse où sont jetés tous les derniers topics du moment, le genre en premier (et le bi ça permet de mettre des filles et des garçons (même un policier adulte en service ) dans la même histoire, bien plus juteux, le tout sans réel effort de convaincre, non, si ? A trop diluer, le récit perd de sa force et de son intérêt. On peut lire mieux ailleurs, avec des auteurs qui traitent vraiment de leur sujet et on la politesse de plus d’ellipses, pitié. Me voilà rendue à écrire comme elle, by the way. 

Allez, ce bouquin vaut quand même pour les bonnes trouvailles langagières rigolotes, le côté Ariégeois coeur fidèle (mais presque rien sur les châteaux cathares, ça doit pas être au programme du bac)  et surtout pour son petit caillou du gave des Pyrénées (sa petite pierre, quoi) offerte à  la cause homosexuelle. “Autobiographie d’une licorne”, pour ceux qui ont le courage d’aller au bout, offre une petite fenêtre de plus dans la littérature jeunesse (qui en est déjà inondée) pour défendre, de manière pas très convaincante malheureusement, ou maladroite, cette cause et ses enjeux. On en viendrait presque à souhaiter enfin un YA sur les ados qui veulent simplement être hétéros, je rigole.

 

J'ai presque confondu dans mon esprit vite oublieux de ce genre de pavés ultra light le très long aussi et un peu sur les mêmes thèmes licorne, LGBT.Q, le roman jeunesse lu à la même époque  "C'est pas ma faute", chroniqué ici.

 

 

 

Publié dans littérature jeunesse

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article