Tindersticks/Claire Denis/et Micha Lescot

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

Tindersticks/Claire Denis/et Micha Lescot
Tindersticks joue en ciné-concert les films de Claire Denis !
N'avais vu aucun des films de Claire Denis, dont de nombreux extraits seront projetés sur l'immense écran de la Philharmonie. Je n'en connais que les titres, qui défileront au générique. Les Tindersticks compositeurs de toutes ses B. O. oeuvrent en bas de l'écran, où le spectateur peut tout imaginer à partir de ces extraits, si comme moi pas vu les films. Ils ne doivent pas être nombreux, que des aficionados, ou comme mon amie venus pour Tindersticks seulement ? Inventer à partir de ces bouts de pellicule les histoires, les dialogues (muets, seule la musique) de ces visages et corps connus du cinéma français ; la photo au traitement poussiéreux et sale se foutant un peu du grain de peau des acteurs.
C. Denis c'est pas exactement le feel-good movie du dimanche soir. Vite on passera du sourire et des sous-vêtements roses de young Valeria Bruni-Tedeschi, et des doigts agiles de Grégoire Colin pétrissant la pâte à pain de la bella mitronne, à la scène attendue et malaisante de la très méchante Béatrice Dalle dévorant tout cru par le bas le joli Nicolas Duvauchelle. Encore plein de sang, sur de la neige cette fois à la scène suivante. Des spectateurs partent, le cœur pas assez accroché devant celui qu'un loup boulotte tranquillement sur la neige, fraîchement arraché à un pauvre malheureux traîné par un cheval. Devant l"insoutenable, baisser les yeux sur les musiciens, les fermer sur les envolées des violons, la légèreté des flûtes. Du sang aussi sur les rails, au bout des superbes plans d'un RER filant sur des aiguillages sinueux au coucher de soleil, un Sacré-Coeur rassurant au loin. Nicolas Duchauvelle ressuscite pour se retrouver tout bras tatoué dehors sous des machettes africaines, Isaach de Bankolé se bouche le nez devant des cadavres fusillés et des enfants noirs soldats courent dans la savane. Une autre nana bien raide et sortie d'on-ne-sait-où se fait envelopper d'un suaire rougi.
Ne connaissant pas les films, on peut tout inventer, construire les scénarios tout seul, l'exercice est passionnant. On ne s'y fie plus, le danger peut surgir de partout, des corps qui s'aiment avec violence ou de machines mystérieuses qui éclairent la nuit des laboratoires. La finesse sidérante des traits de Florence Loiret Caille pourrait bien se ravager au prochain virage dangereux sur une route déserte, à force de s"emmancher avec le chauffeur de la voiture et sa copine, ça leur pend au nez.
Les fondus s'enchaînent, voilà les stars Binoche et Lindon, saisis dans un pas de deux subaquatique. Burt Lancaster et Deborah Kerr peuvent aller se rhabiller, la fine fleur des acteurs français leur dame le pion, ballet nautique et crawl impeccables. Tant qu'il y aura des hommes et pas de requin surtout - c'est qu'on a peur de tout maintenant. Mais non, pour cette fois rien à craindre, only calme et volupté pour les deux amants, qui ne se jettent pas du tout de leur divin balcon, ni ne s'écrasent au pied du Juicy bar (!) et des toitures en zinc. On ne saurait avoir peur tout le temps, on peut aussi faire l'amour apaisé chez Claire Denis.
Même si Binoche au ventre bourrelé de cicatrices va bientôt s'empaler - "it was better than you can think" sur une bite métallique automatique, avant d'aller soutirer de la semence blanche à Robert Pattinson, celui-là même qui suçait le sang twilight, pour une fécondation pas du tout in vitro. Situations indéniablement zarbis et inquiétantes, dans un décor parisien le plus souvent nocturne : les eaux violines de la Seine, les rails du RER qui mènent à l'innommable, les gyrophares bleus éclairant les fesses divines d'une fille nue bientôt recouverte d'une couverture de survie. Loin ailleurs, pendue à la portière d'un bus surchargé, Huppert présente son beau visage énigmatique. Du sexe triste, de la violence silencieuse et lente, un cinéma borderline, angoissant et pour le moins prenant, dont je ne sais pas grand chose, qui se donne à voir philharmoniquement, dans les meilleures conditions.
Puis il nous est fait grâce : une mer miroite sans arrière pensée, puis arrive une déferlante orange portée au paroxysme par la musique de Tindersticks, qui s'allume dans un choeur jazzy éblouissant. On dirait la fin, ce sera celle des projections (ouf ?). On peut respirer, plus de cinéma dangereusement beau, juste le souffle du groupe qui joue sa musique habitée, seul sans les images. Stuart Staples a gardé son chapeau, laissé sa guitare et s'est mis debout. Sa belle voix s'insinue, déliquescente et heurtée, souvent au bord du spasme, comme nous juste avant. On aimerait juste l"enfouir contre nous et le garder serré sous son pull dans le noir, mais bientôt il faut partir.
 
Tindersticks/Claire Denis/et Micha Lescot
Tindersticks/Claire Denis/et Micha Lescot
Tindersticks/Claire Denis/et Micha Lescot
Tindersticks/Claire Denis/et Micha Lescot
Tindersticks/Claire Denis/et Micha Lescot
Un petit hommage au comédien Micha Lescot, bien vivant qu'il est, vu hier à la sortie dans le hall de la Philharmonie aprés le ciné-concert Tindersticks-Claire Denis. Meilleur Ivanov jamais vu, dans ce Tchekhov chez Luc Bondy à l'Odéon en 2015. Avec une Marina Hands habitée et lui tout distancié et fiévreux. Devrait être au Français. Aussi l'un des plus grands comédiens français, avec son double-mètre, ses bras comme des pattes d'araignée et ses mains en battoir, Jean Teulé avait les mêmes. Sa voix comme un bâillement. Il est d'une drôlerie et d'un poignant absolu. J'aurais pu lui demander un selfie ou un autographe, c'est plus chic. Le selfie non, c'est ridicule et ça l'aurait fait trop se pencher, il doit avoir tout le temps mal au dos depuis sa chute de tout en haut des cintres d'un théâtre de province. Un directeur despote l'avait forcé à y grimper pour sa mise en scène le criminel, alors qu'il suffit que Micha Lescot apparaisse pour qu'il envahisse tout. C'était raconté dans un beau portrait de Libé en quatrième de couv.
Il est immense et droit, et les deux jeunes filles avec lui paraissent toutes petites. Je l'appelle Michka, ça faisait un gentil jeu de mots avec l'ours russe éponyme des Albums du Père Castor, mais c'est juste Micha frère de David Lescot écrivain et dramaturge et metteur en scène, ils ont tous les talents les frangins. En 1984/5 je prenais tout le temps le bus 31 vers l'Etoile en face de leur père le comédien Jean Lescot, regardé timidement, pour aller à mon école de marketing qui servait à rien. Les deux ont les mêmes yeux de cocker. Sa crinière a blanchi, ça me chavire. Voilà un des meilleurs comédiens français.
A joué chez Claire Denis deux ou trois fois, des petits rôles. Heureusement que je n'ai pas vu son corps supplicié par la réalisatrice tourmentée. Reste donc sur les scènes subventionnées ! (penser à retourner me repaître de son jeu unique).
Je le shoote discrétos, que je crois, je vois qu'il me regardait alors droit dans les yeux, mais je ne suis pas à une photo volée près.
Je pourrais aussi mettre cet article en public et le taguer @michamachintruc mais #aqwabon, l'homme a l'air ombrageux.
Tindersticks/Claire Denis/et Micha Lescot
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