De l'amour, par Victor Hugo et Michael Haneke

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

 

 

Poèmes de Victor Hugo

 De la poésie à la fois joyeuse, douce et triste, comme souvent chez Hugo toujours traversé par les extrêmes. Retenir le poème "Mes deux filles", texte intégral sur cette page, et ci-dessous, sur les chères Léopoldine et Adèle (H.) qui n'ont pas connu le bonheur longtemps. 


Victor Hugo (1802-1885)


Mes deux filles (Les Contemplations)

 

Depuis le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe,

L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe,

Belles, et toutes deux joyeuses, ô douceur !

Voyez, la grande soeur et la petite soeur

Sont assises au seuil du jardin, et sur elles

Un bouquet d'oeillets blancs aux longues tiges frêles,

Dans une urne de marbre agitée par le vent,

Se penche, et les regarde, immobile et vivant,

Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase,

Un vol de papillons arrêté dans l'extase.


Me voilà de plus confortée par l'apparition ou la récurrence de deux ou trois mots de ce poème quelques fois au fil de cette matinée de lecture, des synchronicités comme s'il en pleuvait...  D'abord, le mot "frêle", comme la "ligne frêle", pour ne pas dire "ligne claire", du dessinateur François Avril, au trait rappelant à la fois Sempé, Lyonel Feininger et Paul Klee, à son meilleur dans les images de paysages rêvés ou d'architectures urbaines, et qui signe les dessins des "Poèmes de Victor Hugo" parus chez Bayard Jeunesse, une anthologie proposée par Benoît Marchon, joli ouvrage en sélection à la Joie par les livres,

 

Puis le mot "urne", pas toujours funéraire mais sait-on ce que Demain dès l'aube sera fait ? Ce mot  Celui-ci rencontré dans les dialogues du film "Amour", ou "Liebe", de Michael Haneke, Palme d'Or du Festival de Cannes 2012, dont je viens de lire le scénario poignant et implacable, les mots sont aussi des images. Jean-Louis Trintignant, incarnant Georges, mari amoureux par delà le bien et le mal, ou le meilleur et le pire, d'Anne, octogénaire malmenée et diminuée par des attaques successives, Emmanuelle Riva, qui écoute le récit fait par son mari, tout  d'ironie et de mise à distance, d'un enterrement d'un ami, auquel elle n'assista pas.  

 

 

 

(extrait) "Ensuite l'urne a été posée sur un brancard immense qui était visiblement conçu pour un cercueil et on est sortis sous la pluie. Ils ont placé l'urne sur un petit véhicule électrique qui a roulé au pas pendant une éternité jusqu'au petit trou qu'ils avaient creusé. Beaucoup de gens pouffaient".

 

Autre genre d'urne, le mot ou expression "pot de chambre", objet d'une énigme ou devinette du malicieux Victor Hugo, elle aussi sélectionnée dans ce recueil de poèmes du grand homme, destiné à la jeunesse. C'est drôle, de l'importance de la défécation et des ses conditions d'exécution, dans nos vies étriquées en appartement dotés des modernes commodités, jusqu'aux maisons ou abris de campagne, en passant par tous les usages du monde en cette matière.

 

Énigme, V. Hugo

 

"Je me remplis quand on se vide,

Fort rarement on se passe de moi :

Je renferme en mon sein le dur et le liquide,

Je sers au riche, au pauvre, au duc et même au roi"

 

L'"Énigme" de Hugo est ilustrée par François Avril par l'image noire et bleue d'une chambre à coucher, un peu triste et vieillotte, au papier peint à rayures, meubles sages et rangés, avec un oreiller blanc à la têete d'un lit vide, sous lequel se cache une tache rose, le pot de chambre. Ce qui ne manqua pas de me rappeler la lecture du sinistrement magnifique scénario du film d'Haneke, où Emmanuelle Riva se retrouve trempée d'urine un matin, après avoir auparavant renversé d'impuissance la vaisselle et la lampe placées sur sa table de nuit. Il y a tout ça aussi sur l'image d'Avril, même le début et la fin de l'histoire, Emmanuelle Riva  libérée par un oreiller fermement appliqué dans un dernier acte d'"Amour" par son mari sur sa face.  

 

Mais avant d'être la métonymie du sens de nos vies, mais si, je le retrouverai encore ailleurs, sous une plume d'enfant, dans un joli haïku, le même vase de nuit :

 

"Première neige

Un sacré trésor

Ce vieux pot de chambre !"

Issa

 

lu dans "Mon livre de Haïkus à dire, à lire et à inventer" de Jean-Luc Malineau (Albin Michel jeunesse)

Publié dans dans la littérature

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