Images de l'o de la (petite vie des morts)

Publié le par l'aquaboniste atrabilaire, ou princesse rabiola

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La veille, samedi 5 février, je faisais un atelier zellig, mosaïque, à l'IMA, préfiguration d'un autre rassemblement, celui opéré le lendemain, morceaux choisis. C'est crade ce que je dis, ce n'est pas convenable. Oui le fait que mon frère qui a été élevé avec moi, est né du même père et de la même mère, a le même sang que moi, a déposé celui ci avec la chair de ma chair partout sur les voies, éparpillé façon puzzle ou zellig même pas drôle façon Woody Allen, mais plutôt une tragédie des atrides, avec moi en Antigone bien incapable d'aller chercher son corps pour l'honorer comme il se doit, ce fait là me chagrine, me hante, m'obsède et me disloque, aussi. Le lendemain du dimanche, me retrouvait at home, girondine, avec pendant ces journées difficiles des afflux de visions préfiguratives aussi, extra sensorielles, comme imposées. Comme ces "moutons" que je me mis à voir un peu partout, dans le genre victime sacrifiée, the lamb lies on the Broadway ballast  ou immolé innocent, bref l'agneau du sacrifice, sans religion à y voir, et quand bien même. En tout cas donc hypnotisée soudain, le mardi matin, au moment de prendre les vélos (mère courage à la jambe rafistolée suit) pour aller en ville effectuer diverses démarches de tous les jours (demander à La Poste quid de l'assurance-vie - n'y voir aucune vénalité, 9 mois plus tard celle-ci nous brûle les doigts et nous n'avons encore tenté aucune démarche - ; aller écouter au commissariat les minutes des dernières de notre désespéré ; aller aux PFG, qui ne sont pas les Plus folles gaîtés, lyriques ou pas, et aussi, souffler un peu pour aller chercher les 4 nouvelles paires de lunettes de notre mère aussi, et bien d'autres choses)... Dans le couloir, bientôt hypnotisée par un des moutons en papier peint, dessinés dans la toile de  Jouy de la tapisserie, bien fissurée, tout comme s'est retrouvé craqué de partout, façon raku mais en beaucoup moins lisse et brillant, notre tonton flingué éparpillé sur un ballast impavide, sous les regards non indifférents de badauds excités par la vue du carnage, du haut de la passerelle. Leurs supposés rires monstrueux brièvement évoqués par l'employée SNCF qui "non n'a rien vu", pourtant présente là ce dimanche funeste, et m'interpellant lorsque le vendredi suivant nous étions dans ladite gare bien nettoyée depuis, prenant des billets pour nous rendre aux obsèques du frérot désespéré, car je n'avais pas résisté à demander des infos sur le "suicide" de la semaine précédente, auquel faisait allusion abruptement et sèchement une voyageuse pressée, venue récupérer un certificat de retard, ou de remboursement (voir Photo-0010(article sud ouest plus  bas...) Donc le mouton vous dis je, et pas plus tard que quelques heures après la photo du papier peint décollé et malmené, avec moutons, deux autres me tombaient dessus, je les avais sentis, tel l'ogre la chair encore fraiche, et étais entrée toutes affaires cessantes en trainant ma pauvre mère accablée derrière moi, car nous avions force démarches à faire ces jours là, déjà évoquées, mais en passant rue Gambetta devant un magasin de décoration chic et cher, je fus soudain happée par la vitrine et bientôt entrai, ma mère à ma suite, menée par ou la force de l'esprit de mon frère, ou du mien, ou le hasard. Ou quoi d'autre, qui m'avait conduit au fond du magasin vers le jardin de celui ci, sur la pelouse duquel paissaient bien deux moutons, ah j'avais tout juste, ne manque pas d'en entretenir ma mère esbaudie "toi, alors",  braves ruminants en statues, décoration inspirée du couple Lalanne, sculpteurs des anciennes Halles et de l'Homme à tête de chou (présentement, mon chou a t-il encore sa tête ?). Tous ces moutons, signes de mon frère le petit mouton noir et même le plus souvent mouton enragé malheureusement, ce qui a fait sa perte et son reniement par tous, sauf notre pauvre mère hébétée et consterné, 9 mois après n'a toujours pas compris comment et pourquoi son fils s'est "volatilisé", et est mort et a vécu de façon si abominable.Photo-0009 Elle dira plus tard, dans une énumération rimée, sarcastiquement "Christophe est mort vachement, salement, abominablement". Il   est loin le petit agneau blanc moutonneux, symbole de pureté.

Dans lesdites desmarches il y a bien sûr les PFG, accueil de circonstance et conseils très moyens, et le jour de la mise en beer j'ai pris ces photos, morbides ? lugubres ? dégueulasses ? Non, je ne crois pas, quitte à photographier tout et n'importe quoi en numérique, le premier arbre qui passe (enfin c'est une image), pourquoi pas photographier, au portable, vite vite avant que les officiers de l'état-civil ne viennent mettre les scellés sur ton pauvre cercueil en chêne, je prendrais ces photos. Et j'y tiens en tout cas à ces témoignages de ce qui se passe six feet under, ces quelques pauvres reliques que j'ai entassées sur ton cercueil marqué à tes initiales, JCA sans la petite croix que tu mettais entre le C et le A, dans ta folie des grandeurs Jésus-Christ, pourquoi pas Jules César. On a bien vu Grace de Monaco avec ses bandeaux blonds encadrant sa pale figure de 52 ans, n'a plus jamais souri après son accident de voiture, ces photos ont fait le tour des gazettes, moi pauvre petitou si obscur et sans grade et qui se voulait solaire, qui l'a été, "mon petit frère solaire" ai-je prononcé lors de mon oraison funèbre en l'église romane Sainte-Catherine. Petit soleil, tu auras par devers toi des photos de tes idoles bien vaines, ne jamais vivre par procuration ou dans les magazines en groupie du pianiste Elton John, ou Marylin, ou Blondie. Emportera aussi les pépites dorées de notre jeu du samedi soir, veille de l'horrible dimanche, avec les éclaireurs, je m'y étais fort ennuyée, et avais fait les jeux en esseulée, collectionnant et amassant un trésor de petits cailloux passés à la bombe dorée, pépites donc utiles pour un concours bon enfant. Pourtant, ou bien entendu, j'avais passé une nuit affreuse, entre ce samedi 5 et ce dimanche 6 février 2011, parallèlement à lui et à 550 km de distance. Tous deux à pleurer sur notre incapacité à vivre et bien vivre, sans parler de bonheur interdit car bien trop bètes et encaqués, lui dans sa schizophrénie et moi dans mon  bégaiement débilo borborymesque, et sans doute un peu schizo sur les bords moi aussi, car des bègues joyeux (bègue, gaîement, vraiment ?), j'en connais. Nuit fatale donc pour lui car le lendemain dimanche il décidait d'y mettre fin pendant que moi je continue pour l'instant à compter sur les défaillances de mes organes (pas trop envie de les voir répandus sur le ballast, on a sa fierté corporelle). De quoi parler, pour ces images ? Juste montrer l'indicible, les petits arrangements matériels avec les morts : le cercueil, le llinceul, les offrandes (j'apprends que dans le rite juif on met des pierres dans les tombes, cela est juste et bon). Juste présenter ces images douloureuses et sorties de mon portable, et comme guère confiance dans les disques durs, je les met sur ce blog mou, en ligne donc.Photo-0011En commençant par les draps suifés de sa dernière nuit d'angoisse, où il n'avait pas fermé l'oeil, moi drapée dans ma dignité de femme propre à une douche par jour et moult lessives à mon compteur, qui me bouchais le nez et ne voulais pas approcher le mal lavé (ou pas du tout, sauf par les mains de sa mère qui le rasait dehors, au vu et au su des voisins de la résidence bordelaise, le croyez vous). Je m'y suis couchée le mardi matin dans ces draps là et ai respiré à fond les effluves rances de suint, dire que trois mois avant je m'escrimais pour nettoyer de fond en comble cette chambre et y mettais des draps restés neufs depuis les années 70, mais ma mère qui a connu la guerre avait prestement changé les draps trop fins pour le cuir de JC par les draps rugueux et toilés de nos armoires poitevines, alors voilà Christophe ton dernier lit, celui de la maison, et le linceul sur lequel j'ai déposé mes petites offrandes et aussi un chapelet, sait on jamais, et toi qui dans ta déraison ne manquait pas d'ajouter sur chaque livre de la maison ton ex-libris,  ton trigramme à la croix, JCTA  (tu étais Jésus-Christ, pensais tu sûrement pauvre ravagé chéri, en tant que Christophore sûrement,  ton prénom suffit à en porter la marque , et nous nous en moquions pas gentiment,  excuse excuse excuse).
Et pour finir dans l'horreur pas absolue, car comme a dit le commissaire si humain d'un commissariat désormais supprimé, vive la gendarmerie qui aura fort à faire dans cette sous préfecture bien moins calme qu'au temps denotre morne jeunesse où je ne connaissais pas ma chance d'avoir eu à mes côtés un papa Jeannot pendant 10 ans et un frère certes atrocement malade et bète féroce mais surtout pour lui, et si mignon quand il était petit, et la plus féroce c'est moi de loin, puisque étant l'aînée et pourtant plus que concernée par les épisodes (tout le feuilleton) dépressifs et la dévalorisation et toutes ces non joyeusetés, et bien je n'eus aucune pitié pour le pauvre petit Cendrillon, mais il n'y avait plus de corps pour enfiler la basket salie, avant l'était-elle autant ? Le pauvre enfant ne se lavant guère nous l'avons déjà dit et n'étant guère soigneux de sa personne. Ultime relique qui doit gésir au fond d'une poubelle ou d'un placard archivé de la police, mais donc place à la gendarmerie désormais, alors cette basket pourrie éjectée par la violence du choc hors du pied taille 43 de mon frère, où est le pied d'ailleurs ? Demander aux rapaces voyeurs de la passerelle au dessus des voies, honte à eux. La basket seule trace sur terre de mon frérot, enfin seule photo de son accoutrement de la veille, comment enfiler des chaussures en sortant de pantoufles dépressives pour pieds de plomb pas sortis de chez eux depuis 20 jours et soudain décidant de s'activer vite vite vers la gare, mais en disant à sa pauvre mère alarmée par cette activité soudaine et suspecte "Où vas tu ?" "Au parc de l'Epinette" tu parles Charles, petit menteur, tu n'as pas attendu ta mère qui s'est précpitée sur son vélo à ta suite, mais au vu de son grand âge et autres rhumatismes ne t'a pas retrouvé dans les allées du parc où entre nous soit dit elle t'avait mis en garde "Tu f'ras pas d' bêtises, hein ?" pensant à quelques exhibitionnismes issus de ton cerveau malade et déjà répertoriés dans des annales officielles, mais non, cette injonction ne t'a pas ému, ou si, sûrement, et tu as été pris d'un spasme dit elle, en sortant dans l'air vif de février, sous un beau soleil toutefois qui aurait pu décourager tes envies d'en finir mais non, te voilà parti dans ces baskets sans doute mal lacées, que ne t'es tu étalé dans la rue avant de parvenir à destination et descendre sur la voie devant un taureau furieux que même dans nos pires cauchemars on oserait Photo-0008provoquer, donc un frisson t'aurait saisi, sans doute à l'écoute du grondement d'un train au loin et si près, tu savais ce qui t'attendait pauvre frérot et il en faut du courage pour en arriver là, et nous laisser là au repère W de la voie B, je reparlerai de ce train que nous avions pris par deux fois un mois avant en rentrant de Toulouse Lannemezan, et tu nous avais salué par la fenêtre de ta chambre, tu avais donc vu ton bourrreau futur et nous nous étions passés à toute berzingue sans s'en douter sur les lieux de ton martyre, une basket donc. Allez ces horribles photos sont douces à mon coeur car elles témoignent de ta toute fin, comme, toutes proportions gardées, les images si diffusées et commentées de la catastrophe mondiale du  World Trade Center et de ses avions, ce sont mes petits souvenirs et témoignages de ce qui t'est, nous est arrivée, cette catastrophe familiale de toi passé de l'autre côté, absent donc pour toujours. Tu t'es volatilisé et c'est bien dur de faire son deuil en l'absence d'un corps immontrable, images d'une violence sans nom auxquelles ma mère échappa, pédalant dans les allées du Parc sans te voir, car tu étais déjà sur le chemin de la gare, et elle bien inspirée de rentrer chez elle sur son vélo, sûrement déjà bien embêtée de ne pas t'avoir trouvé, mais sans l'idée d'aller voir à la gare ce qui s'y passait et qui n'y passait plus. Mais pourtant à 19 h la nuit tombée elle eut l'idée morte d'inquiétude et au fond d'elle même pressentant le pire d'appeler le commissariat pour demander si pas d'accident, et cette fois oui, "à la gare", et "il est mort ?", "oui, il est mort", c'est ce que j'ai entendu et je n'en reviens toujours pas. Lui non plus d'ailleurs. RIP baby, RIP.Photo-0013Photo-0012et
pour te réchauffer, un de ces carrés au tricot que je passais tout mon temps à faire, destinés à une association caritative. Je le tricotais quand tu te jetais sous les rails. Je l'ai terminé dans un autre TGV sur la même ligne, qui me menait vers toi, qui n'étais plus là. Qu'il te réchauffe là où tu es.013

Publié dans christophe & more

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