Des haikus de Jean-Hugues Malineau à Instagram

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

Hommage à Jean-Hugues Malineau, poète (1945-2017)
à travers son joli et indispensable livre pour la jeunesse "Mon livre de haïkus à dire, à lire et à inventer"  (Albin Michel jeunesse, 2012)

Image de la couverture du livre trouvée sur le blog de la librairie jeunesse La courte échelle, Rennes

Image de la couverture du livre trouvée sur le blog de la librairie jeunesse La courte échelle, Rennes

Le haïku pour Jean-Hugues Malineau : une façon de vivre, pour l'enfance aussi

C'est un petit poème d'origine japonaise de 3 vers et de 17 syllabes.
Premier et troisième vers : 5 syllabes, deuxième vers : 7 syllabes.


A la question, pourquoi proposer l'écriture de haikus aujourd'hui, Jean-Hugues Malineau répondait, dans la préface de son recueil :
"A une époque ou tout s'accélère, à une époque où l'enfant est en permanence sollicité par les spectacles de la téléision qui le transportent loin dans le temps et dans l'espace, à une époque où les jeux vidéos le conduisent en permanence dans un univers virtuel, je crois que l'écriture du haiku peut, en contrepartie, l'inviter à vivre son présent pleinement et à prendre le temps d'exister dans une réalité quotidienne.
C'est uniquement dans ce temps vacant que l'enfant pourra prêter attention à ce qui l'entoure dans la réalité, qu'il pourra voir, sentir, et s'émerveiller à nouveau. C'est uniquement dans ce temps vacant qu'il pourra distinguer et percevoir ce qu'il ne voit plus, ce qu'il n'entend plus dans les habitudes du quotidien.
Où que l'on se trouve dans notre vie, il se passe toujours qq chose à même de nous interpeller, de nous questionner, de nous émerveiller, si l'on est capable d'écouter et de sentir : "tout fait événement pour qui sait frémir, dit le poète français Jean Follain.
Il me semble que c'est un des plus beaux cadeaux que l'on puisse faire à un enfant que de lui apprendre à être attentif quotidiennement à son univers immédiat, que de lui apprendre à distinguer, à nommer, à reconnaître, par exemple, les arbres et les fleurs, ou les oiseaux de passage. L'écriture du haiku est une invitation à vivre plus intensément chaque instant de notre vie qui passe ; c'est une invitation au bonheur et au partage qui me semble importante à proposer dans l'éducation trop abstraite et virtuelle du petit d'homme aujourd'hui".

Carpe diem... Pas une injonction que pour les enfants. Se focaliser dans le here and now, profiter de l'instant présent. Etre attentif au monde, prendre le temps de le contempler pour l'intérioriser. Au coeur de la réalité, s'abstraire un instant pour frôler l'abstrait, via la communion avec le concret.

Il y a quelques années je publiais chaque mois de la poésie sur ce blog, c'est devenu cette page.

Et, déjà les haikus en janvier 2013 sur ce blog, j'avais repéré le joli livre de JH Malineau, j'écrivais ici :

... Mais avant d'être la métonymie du sens de nos vies, mais si, je le retrouverai encore ailleurs, sous une plume d'enfant, dans un joli haïku, le même vase de nuit :

 

"Première neige

Un sacré trésor

Ce vieux pot de chambre !"

Issa


Les haikus, comme un concentré précieux de réflexion, léger comme une bulle d'eau, un microcosme reflétant le monde.
La brièveté du haiku : poème de forme courte, "ce qu'il nous dit est "Ce qui se passe à un instant donné", comme l'écrit Basho (1644-194), qui fit école.
"Il s'agit en fait d'un instantané, à la manière d'un cliché photographique. Il relate une seconde de l'éternité, du temps qui passe, des saisons qui s'écoulent - à l'origine, le haiku se devait de faire justement référence à l'une des quatre saisons qui s'écoulent.
Pour le poète japonais, une goutte de rosée, le chant d'un grillon ou le vent dans un brin d'herbe ne sont pas moins importants que la mer toute entière, un coup de tonnerre ou une tempête.
C'est justement parce qu'il est susceptible de percevoir le plus infime, le plus intime, le plus secret de l'univers qu'il participe pleinement lui même à l'univers tout entier. Sa disponibilité émotive et sensorielle au moindre spectacle de l'univers est un art de vivre, presque une religion".

Instagram

Pour qui n'écrit pas, il y aurait bien Instagram, qui allie la simplicité d'un logiciel de retouche photo pour les nuls à la possibilité de diffuser ses photos instantanément. Pas besoin de followers, on peut aussi les garder pour soi, en compte privé. Se constituer un carnet infini d'images, unique, comme un long rouleau. Chacune d'elles pouvant se transformer indéfiniment, recadrée, refiltrée, recolorisée. Des souvenirs et des échappées de la réalité, pour mieux l'appréhender.
Instagram me fait penser aux haikus, bien plus que les tweets, pourtant apparentés de plus près au langage, au verbe. J'ai découvert cette appli hyper à la mode grâce à ma fille, qui joue à merveille de cet instrument d'expression pour laisser libre cours à sa créativité, qui sent bon la liberté et la gaité insolente de la jeunesse. Je me suis inscrite il y a peu et totalise déjà quelque 150 photos. Pas de dossier pour regrouper des thématiques, mais des hashtags qui permettent de retrouver les clichés, dans le monde entier. C'est ainsi qu'une photo de dessin de presse drôlissime montrant le peroxydé président des USA sur le trône, en train de lire "La présidence des Etats Unis pour les nuls", se retrouve liké par le site officiel Donald Trum.com. L'effet des logiciels. Big brother est vraiment en train de tout regarder, et fait semblant de rire. Je suis soufflée, mais je laisse. Le dessin n'est pas de moi, je l'ai photographié. Mais les images qu'on aime et qu'on publie deviennent un peu les notres.

Des motifs, des idées. De la réalité tangible du monde réel à la toute puissance politique, il y a un grand pas. Mind the gap. Les haikus nous mettent à l'écart, nous protègent. Du moins ici, en Occident, où c'est permis, un peu, beaucoup, tant mieux. Mais gare aux kalachnikov, les frères PoisChiche ont frappé et frappent encore. Rien à voir. Si...

Les haikus, Instagram, des idées légères en bulles de savon... Moins dangereux que le photo journalime. Sans doute. Mais s'exprimer, en images ou en poèmes, c'est déjà beaucoup. Ca prouve qu'on existe, et qu'on est au monde.
Les haikus sont comme des images, ils ont cette puissance évocatrice. Aussi l'humour, la légèreté qu'on peut choisir d'y mettre. Pas de choc des photos recherché, ni de poids des mots.
Pourtant, tout ça peut peser et infléchir le cours d'une vie. Les petits rus ("petit cours", en 3 lettres dans les mots fléchés) font les grandes rivières.


Quelques jolis haikus du livre


"Oh une luciole qui vole
Je voulais crier "regarde !"
Mais j'étais seul

Taïgi

Qu'elle était énorme
Cette chataigne
Hors de portée

Issa

La chenille devant moi
Hausse ses dix épaules
Je cède le passage

Jean Hugues Malineau

Les ailes jointes
Un papillon se recueille
Sur les volubilis

JH Malineau

Brebis du matin
Clochettes et petits pas
Et les mouches avec

Jacques Bussy

 

Jean-Hugues Malineau s'amusait aussi à écrire des "virelangues" savoureux et poétiques : "Dix dodus dindons et quatre coqs coquets", illustrés par Pef (Albin Michel jeunesse, 2014)


"Que lit Lili sous ces lilas-là ? Lili lit l'Iliade"


"Titubante en bottes, Babette bute et boite, hébétée"


"Un petit pisseur pissait devant la porte du tapisseur..."


"Cot cot cot codek ! Cette cocotte coquette a la cote, "OK dit le coq toqué"

Des haikus de Jean-Hugues Malineau à Instagram

Espérons qu'aujourd'hui JH Malineau est aujourd'hui comme les enfants de son haïku :


"Les enfants en rang par deux
Au dessus des nuages
Jouent à saute-mouton"

Mon Livre de Haïkus : à dire, à lire et à inventer

Mon Livre de Haïkus : à dire, à lire et à inventer

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Bonus : le joli album jeunesse "Saisons d'Issa" : un recueil de haikus bilingue franco-japonais, du poète Issa, né en 1763.

Extraits au fil des saisons :

printemps

bien que le prunier fleurisse

bien que le rossignol chante

je suis tout seul

été

je m'en félicite

cette année encore les moustiques

m'attaquent

automne

les montagnes au loin

dans les yeux de la libellule

reflétées

hiver

poissons d'argent !

parmi eux

des parents et des enfants

 

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