Les liens qui libèrent de l'Observateur, Aude Lancelin

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

"Le monde libre" de Aude Lancelin, 2016
Aude Landelin, photo "20 minutes"

Aude Landelin, photo "20 minutes"


 Est paru à Paris, aux éditions Les liens qui libèrent en 2016 un essai vigoureux et rageur, flanquant un grand coup de pied dans le Landerneau de l'entre soi des médias français, pardon parisiens. Signé, Aude Lancelin (1973),  "Le monde libre". Déjà, dans le titre de l'essai, un titre de journal, le grand quotidien du soir.
Le sien, pendant des années, ça été la revue, l'hebdo, le news "Le nouvel observateur". Y ai été longtemps abonnée, ai jeté les numéros lors d'un déménagement. Dommage, s'y trouvaient des pépites d'écriture, pour ce qui est de la critique littéraire, et partout ailleurs. Jean-Paul Dubois, Jean-Paul Enthoven... Aude Lancelin, qui est arrivée plus tard, ne démérite pas, son style a du chien, mais il va à l'essentiel, ce qui l'occupe, sa réhabilitation, des révélations sur quelque 230 pages. L'éditeur a t-il été aussi choisi pour son nom encourageant et contradictoire ? "LLL, Les liens qui libèrent", on en rêve tous.
Ca parle évidemment du "Nouvel Observateur", et au delà de journalisme, en France, depuis 1990, et bien mieux qu'un essai d'historien, ce sont des récits personnels, du vécu, du ressenti (dans tous les sens du terme). Très éclairant sur les rapports ambigus et obligés de la presse et de la politique, pendant les récentes dernières décennies. Panorama sans concession, un brin aigri, qui lève le pan du voile sur les pratiques et les ficelles du milieu parisien de l'information. Réflexions cinglantes sur le métier de journaliste dans la presse écrite aujourd'hui. J'ai réchauffé un serpent dans mon sein, pensent-ils, les hommes paternalistes et matois de cette histoire de vie, qui laisse sans voix. Une femme parle, qui a été dure, qui l'est toujours, qui s'en est pris plein la figure. Marques d'encre et de dépit mêlées, les rotatives tournent toujours. Name dropping de peoples de l'intelligentsia aux nicknames transparents (les noms transparents, Jean Joël (ndlc : Jean Daniel), Laurent Moquet, Claude Rossignel, Matthieu Lunedeau), ça dézingue et ça désacralise.

Un article sur sa mise à pied ici.

J'en recopie ici des extraits , le livre est réussi comme un brulôt, ce qu'il est, et comme un ouvrage écrit dans la douleur, toujours respectable.

Bernard Henri-Lévy vu par Aude Lancelin

extraits tirées du très savoureux et amer à la fois essai d'Aude Lancelin dans (écartée contre son gré du "Nouvel Obs", noms changés à peine voilés sous des pseudos)

S'il est un ennemi entre tous qui ne risquait pas de m'oublier, c'était toutefois BHL, le sentencieux maître à penser de l'"Obsolète". "Un ami du journal" là encore, dont les fondateurs admiraient l'art consommé de la flagornerie. Nombreux étaient les membres du journal à avoir déjà bénéficié des commodités du palais de la Zahia, son luxueux riad à Marrakech. Rares étaient ceux qui refusaient cette faveur aussi encombrante à porter par la suite qu'un collier d'esclave, tant elle se payait en menus services de plume rendus toute une vie durant. Nos relations n'avaient jamais été au beau fixe depuis mon entrée au journal, mais jusqu'en 2010, BHL n'avait jamais perdu tout espoir de me retourner. Un de ses proches entremetteurs de la rue des Saints Pères m'avait notamment appelée en 2004 pour m'annoncer que le parrain de St Germain m'avait élue pour l'interroger au sujet de l'enquête romanesque qu'il s'apprêtait à faire paraître sur Daniel Pearl, otage américain décapité par ses ravisseurs au Pakistan.
Ils avaient pensé à tout. 'L'Obsolète" serait la tête de pont d'un débarquement massif en librairie, et dans ce dispositif quasi militaire, j'étais la potiche idéale de l'année, celle qui saurait faire reluire les visions inspirées de l'homme au fil d'un entretien fleuve émaillé de photographies édifiantes. Soufflée par le procédé, j'avais expliqué au commis de Bernard que naturellement il n'en était pas question, et qu'au demeurant seul un spécialiste chevronné de la géopolitique du Moyen Orient serait qualifié pour interroger l'auteur sur une telle affaire. J'avais beaucoup insisté sur ce point. Connu pour ses poses de séducteur au bronzage ignorant les saisons, l'éditeur négociateur était consterné.... On ne pouvait tout simplement pas traiter avec moi. Avec le chef des pages culture, nous avions finalement eu l'idée de dépêcher une gloire du journalisme en retraite pour recueillir la parole du Malraux d'Islamabad, et nous avions bien ri en imaginant le dépit de l'homme.
Les événements qui se produisirent au début de l'année 2010 mirent toutefois un véritable coup d'arrêt à ces non relations à distance, mi hostiles mi  joueuses. Là encore, je n'avais pas manqué de mises en garde solennelles. Même mon ami Philippe Muray, peu réputé pour sa pusillanimité, m'avait prise par l'épaule : "Si vous vous en prenez à BHL, on vous coupera l'électricité, et un jour, les éboueurs ne passeront plus dans votre rue..." Le mot m'avait fait rire mais quelques années plus tard je dus admettre qu'il comportait un noyau de sérieux. En parcourant les épreuves du nouveau livre de BHL  "De la guerre en philosophie", plaidoyer grandiloquent d'une centaine de pages en faveur d'une oeuvre injustement décriée, la sienne, j'avais remarqué un détail proprement ahurissant.


/Elle relève[2]en 2010 que Bernard-Henri Lévy a cité naïvement (elle parle d'« autorité du cuistre ») un auteur imaginaire, Jean-Baptiste Botul, dans son ouvrage alors à paraître[3], ce qui provoque une vague de réactions amusées ou consternées. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Aude_Lancelin)/

Avait il été dupe de son esprit de sérieux ? IL est certain que BHL était réputé pour son absence de tout second degré. Lui avait on, selon certains usages regrettables de l'édition, préparé des fiches de travail dont l'une s'était révélée tragiquement vérolée ? L'énigme demeurait entière, même si je penchais pour la seconde hypothèse. Toujours est il que son éditeur n'avait pas non plus repéré la bévue, et que la chose avait été imprimée en l'état et expédiée à l'ensemble de la presse. En écrivant cet article je pensais honnêtement n'atteindre que deux objectifs : me brouiller à jamais avec BHL et faire rire tout au plus deux ou trois arrondissements dans Paris. Sur le premier résultat, je ne m'étais pas trop trompée. L'homme confierait un jour à un patron de presse qui passait ses Noël chez lui à Marrakech, et s'était néanmoins mis en tête de m'embaucher que, s'il avait un peu d'amitié pour lui, il devait renoncer à ce projet. "C'est la personne qui m'a fait le plus souffrir dans ma vie" avait il soupiré. J'en avais conclu qu'il avait dû avoir une existence très heureuse. Sur le second résultat, mes calculs étaient en revanche entièrement erronés.

A quel moment l'Obsolète, navire amiral de la gauche de gouvernement français, avait il décidé de se suicider en cessant de rendre compte du réel ?


Chapitre : "Vous nous avez réveillés"


C'est en 2000 que je suis entrée à l'Obsolète, et sur l'essentiel rien n'avait changé depuis ce temps là. Tous les auteurs prestigieux étaient à portée de téléphone, toutes les fêtes à portée de main, tous les services de presse couraient alors encore après le moindre journaliste du vieil hebdomadaire, et un écrivain noctambule, auteur d'un best-seller contre le monde de la publicité, m'avait appelée pendant l'été, se proposant de me lancer dans l'émissions télévisée qui venait de lui être confiée. Dès la première rentrée littéraire, un incident étrange avait toutefois failli me coûter cette situation prometteuse. L'assassinat que j'avais commis, en pleine rentrée littéraire, d'un académicien faiseur de best-sellers du "Figaro" avait soulevé un véritable torrent d'indignation chez les dirigeants de l'"Obs". Avant même sa parution, en contravention avec toute bienséance professionnelle minimale, une main anonyme avait envoyé mon article sur le fax même de l'écrivain qui l'été venu accueillait le tout Paris dans sa maison de la baie de Saint Florent en Corse. Jean d'Ormesson, l'académicien au regard lavande était la figure tutélaire du grand quotidien de la droite, mais il était aussi l'intime de toute la gauche d'emprunt qui faisait alors la pluie et le beau temps dans le grand hebdo où les sort m'avait placée. Ainsi que je n'allais pas tarder à le comprendre ce genre de méli-mélo politique était la chose la plus commune qui soit, et le simple fait de le remarquer, ne parlons même pas de s'en indigner, vous faisait à l'instant passer pour une illuminée qui un jour finirait sa vie au désert.
C'est dans le même esprit que les patrons des trois plus grands hebdomadaires français, l'Obs, le Point et Marianne, qui toute l'année faisaient mine de s'empailler sur les tréteaux comme des marionnettes batailleuses, passaient tous leurs nouvels ans à festoyer ensemble, tantôt dans l'hôtel particulier de Saint-Germain-des-Prés qui appartenait à l'un d'entre eux, tantôt dans leurs datchas respectives de la côte normande, qu'ils avaient achetées à proximité tant leur symbiose était totale et ne s'embarrassait nullement d'obstacles idéologiques. Tous ces trafics s'effectuaient bien sur à l'extinction des spots dans le dos du public qui lui croyait dur comme fer à l'authenticité de leurs incompatibilités, à leurs coups de colère simulés, à l'existence de courants d'idées opposant réellement les leaders médiatiques du pays.  La chose était d'autant plus stupéfiante à remarquer dans le cas de "Marianne", fer de lance de la dénonciation de la pensée unique depuis la fin des années 90. La proximité entre tous ces personnages, lorsqu'elle vous était révélée, donnait le sentiment puissant que la presse, sous sont apparence de diversité, n'était qu'une même nappe phréatique de certitudes communes, d'intérêts puissamment liés, de visions en réalité semblables, que prenaient le soin de se partager en différents fleuves dans les kiosques, seulement pour les besoins du commerce et l'amusement de la galerie. La réalité du milieu entier tenait dans cette promiscuité là. Celui qui s'en étonnait était sur la mauvaise pente, celui qui la refusait, déjà une sorte d'ennemi. Tout en affichant des sympathies de gauche indéfectibles, il avait ainsi toujours été de bon ton à l'"Obs" de ménager  en ses main les ultras de la droite, ceux du moins qui étaient susceptibles de nuire ou de rendre différents services.

C'est dire si ma descente du livre de "Mémoires" en effet pitoyable de l'académicien, vibrante de mépris et aussi, fait-il le dire, d'innocence, avait été jugée incongrue dans les hauts étages du journal. Vingt-quatre heures durant on me donna même sortante, et non sans dépit, j'avais commencé à rassembler mes effets personnels... C'est alors que Jean Joël, selon un rite qui allait devenir commun entre nous au fil ses années, me fit appeler au téléphone et déclara, à la surprise générale, que je serais relevée de mes péchés. Une assistante me transféra la communication du grand mamamouchi, dérangé sur son luxueux lieu de vacances marocain pour arbitrer l'affaire, et celui ci me dit en substance qu'il ne faillait pas songer à publier l'article en l'état mais qu'il faillait en revanche sans doute en embaucher l'auteur. "Vous nous avez réveillés", souffla t il ce jour là à la débutante pétrifiée derrière le combiné. Nos nous étions assoupis dans une complaisance sans doute coupable, et vous êtes venue. Je souhaite faire votre connaissance dès mon retour à Paris". L'article serait publié la semaine d'après, dans une version bousillée en personne par un des proches historiques du grand homme. Le même qui, un quart de siècle auparavant, attaquait impitoyablement les éléments droitiers susceptibles de s'être infiltrés au sein des troupes du journal, et s'était désormais reconverti en cireur de pompes pour académicien du Figaro".

Ce fut une tornade, au contraire, un éclat de rire mondial. A peine le papier avait il été mis en ligne sur le site de l'"Obs" alors puissant pionnier du web, que le serveur avait rendu l'âme pour plusieur heures sous l'effet du nombre extravagant de connexions. Le "Times", la très sérieuse BBC, "El Mundo", la "Stampa" et la RAI italienne, etc et bientôt l'ensemble de médias étrangers reprirent l'histoire, jusqu'au "Los Angeles Times", chacun y allant de son commentaire assassin. Loin de la France, l'homme menait en effet régulièrement des campagnes médiatiques aussi éprouvantes pour les amis des idées que celles qu'il infligeait à son propre pays. Cette notoriété internationale artificiellement gonflée par son invraisemblable entregent, était en train de se retourner en piège mortel.
C'est du reste en parcourant le "New York Times" à son domicile de la rue Vaneau que Jean Joël avait appris la mésaventure arrivée par la faute de son propre hebdomadaire à son "glorieux cadet", ainsi qu'il l'appelait avec affection. Le quotidien américain avait fait monter un billet sur le BHL gate en première page. Ce fut pour moi le début d'une série de persécutions dont l'énumération ferait presque rougir, venant de personnages supposément sérieux, exerçant des responsabilités dans les principaux médias du pays.

 

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