Minuit ou presque / Rainbow Rowell

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

 Minuit ou presque / Rainbow Rowell
POCKET JEUNESSE-PKJ
  Rainbow Rowell ; trad. par Catherine Nabokov :
  Minuit ou presque. 2019
  ISBN 978-2-266-29007-4 : 10,90 EUR

 

A partir de 13 ans

 

Paru quelques semaines avant les fêtes de fin d’année, très attractif avec sa jolie couverture d’un bleu ciel nocturne piqué d'une voie lactée d'étoiles et de planètes et son titre intriguant qui sonne bien, « Minuit ou presque » semblait le cadeau idéal à glisser sous le sapin. Ce petit livre traduit de l'américain, mince et élégant avec sa petite centaine de pages constitue un recueil de nouvelles, deux seulement et totalement différentes.  

La première, la plus courte des deux, bénéficie d’une construction temporelle à rebours très originale où le lecteur assiste sur plusieurs années, comme s’il y était lui même invité, aux très vivantes soirées du Nouvel An vécues par Mags et Noel. Ces deux meilleurs amis de lycée se sont rencontrés un soir de nouvel an, devenus étudiants ne se sont jamais perdu de vue et chaque année tombent un peu plus amoureux l’un de l’autre…

Chacun des brefs chapitres de la nouvelle, situés aux alentours de minuit lors du passage d’une année à l’autre, nous en apprend un peu plus sur eux. Première rencontre, amitiés, jalousies et pincements de cœur. Les dialogues sont enlevés et justes, drôles et malicieux, et on sent toute bien la complicité qui unit les deux héros de l’histoire, pris dans le méandre du réseau d’amis qui les entoure, les réunit et les divise dans ces parties de fin d’année pleines de rires, de discussions et de chansons à reprendre en chœur. C’est à travers les sentiments et le regard de Mags, la jeune fille, qu’on avance dans cette habile mise en scène relevant des codes de la comédie romantique, avec son ballet de tentatives d’approche entre les deux jeunes gens, histoire sentimentale dont le le spectateur-lecteur connaît forcément l’heureuse issue. Mags et Noel savent bien au fond d’eux mêmes qu’ils se sont trouvés et sont faits l’un pour l’autre, mais aux douze coups de minuit c’est toujours une autre invitée de la fête que Noel finit par embrasser… Ces deux là devront comme il se doit en passer par diverses péripéties, avancées et reculs, grandes jalousies et petites trahisons, avant de tomber dans les bras l’un de l’autre, tout ça en quelques pages et c’est un exploit d’ellipses et de concision.

Beaucoup aimé cette première nouvelle de « Minuit ou presque », dont le recueil porte le titre, jolie histoire qui fait du bien, comme une comédie romantique tous publics au scénario bien sucré auquel chacun a envie de s’identifier. On aimerait quelques pages de plus sur l’écran de cette jolie histoire douce et pudique, dont les héros attachants ont finalement réussi à échanger leur premier baiser. Facile de se laisser embarquer dans ce de ce feel-good movie de buddies amoureux, parce que c’est bien fait, mignon, drôle et émouvant, avec la pointe d’acidité qui relève le tout, comme un 31 décembre bien réussi.  

Beaucoup plus réservée sur la seconde nouvelle, la plus longue des deux et elle aussi placée elle aussi sous le signe du cinéma, et à réserver exclusivement aux ultra fans de « Stars Wars », du genre prêts à faire la queue quatre jours (mais qui peut faire ça, vraiment ?) pour aller voir en salle sur grand écran l'épisode VII de la saga de l’espace qui n’en finit pas…  L'histoire d’Elena, qui décide de camper devant le cinéma pour la sortie du nouvel opus, dans sa petite ville des Etats-Unis, malgré les mises en garde angoissées de sa mère. (Tout lecteur adulte comprend cette maman responsable ou indigne, qui n’a rien pu faire pour empêcher sa fille d’aller se geler la nuit sur un trottoir, et en est réduite à faire des rondes en voiture dans la nuit froide, hésitant à approcher sa fille et lui mettre la honte en lui apportant des biscuits.) Mais l’expérience n’est pas à la hauteur des espérances de la jeune fille, très déçue de ne rencontrer à l’avant-avant-veille de la projection que seulement deux garçons dans la queue, alors qu’elle rêvait d’un gigantesque rassemblement de fans en plein délire cosplay collectif. D’abord craintive et méfiante, Elena vivra une expérience originale et sympathique avec sa rencontre avec les deux garçons, Troy le plus âgé, à fond dans le délire et vieux routier du rituel, prêt à partager anecdotes et conseils à la jeune fille et Gabe qui n’en demande pas tant, toujours plongé dans ses bouquins. L’expérience mythique attendue se révélera moins une communion spirituelle autour de l’idéal Star Wars que l’enchainement plein d’humour de micro-événements à l’importance fondamentale : boire, manger, dormir, se laver (non) et faire ses besoins (bien obligé), contigeances très matérielles se révélant bien compliquées dans l’espace réduit d’une tente plantée en pleine rue pendant quatre nuits d’hiver. Une expérience de survie en milieu hostile, menée de leur plein gré par des ados qu’on aimerait qualifier d’attardés mais qui sont plus nombreux qu’on ne le pense. Pour qui passe souvent par le parc de Bercy, il est fréquent au débouché de l’Accor Arena (est-ce bien là le dernier nom de l’ex POPB ?), des dizaines de tentes serrées dans la queue une ou plusieurs nuits avant un événement scénique dont l’importance m’échappe, ni fan de métal ni de Justin Bieber ou autre Rihanna. Ce qui est drôle dans la nouvelle, c’est le décalage entre les attentes d’Elena, prête pour un rassemblement festif, et le misérable trio qu’elle et les deux garçons – dont le mystérieux Gabe -, vont constituer. Dans leur toute petite grappe de fans, est-elle vraiment la plus enthousiaste des trois, elle qui a du mal à cacher aux autres qu’elle n’a pas vu (elle a bien fait) les derniers prequels et en est restée à la trilogie initiale de la Guerre des étoiles de Georges Lucas. A la longue attente de la petite compagnie, d’autres fans viendront finalement s’adjoindre, avant le twist bienvenu de la fin où il se confirme que ce qu’on attend depuis très longtemps n’est pas toujours ce qui arrive, et c’est tant mieux. Heureusement que survient cette petite surprise finale, au bout de cette drôle d’expérience un peu bizarre, plus mignonne que dangereuse. Sinon, ne reste de la nouvelle qu’une longue succession de dialogues truffés de références à Star Wars, hermétiques comme autant de private jokes pour les non initiés, entre les trois transis de froid que j’ai eu souvent envie de laisser à leur souffrances auto-infligées sur leur trottoir. Quand on pense que Netflix n’arrête pas de faire des promotions, du mal à comprendre comment on peut se contraindre à de tels rites de passages, apparemment incontournables pour certaines communautés de fans. Passez donc à l’âge adulte, a-t-on envie de leur dire, et nous à la littérature au delà du young adult, dans ce constat un peu désabusé que les bons sentiments nourris au grain américain de l’adulescence ne font pas toujours de la bonne littérature.

Partagée donc par ce petit recueil de nouvelles, clairement conçu dans l'esprit des fêtes de fin d'année, pour faire passer un bon moment. En peu de mots, Rainbow Rowell, à la plume drôle et sensible, réussit à divertir et même émouvoir. Mais il faut bien convenir qu’il ne reste finalement pas grand chose en mémoire après la lecture des prometteuses petites étoiles scintillant sur la couverture de « Minuit ou presque », légères et réconfortantes comme une tasse de thé au coin du feu, mais pas inoubliables.

 


 

Publié dans littérature jeunesse

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