Ruliano des Bois, oeuvres à saisir

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

Captain Bill Murray

Captain Bill Murray

Cartes marines Julien Jaffré
Cartes marines Julien Jaffré
Cartes marines Julien Jaffré
Cartes marines Julien Jaffré
Cartes marines Julien Jaffré
Cartes marines Julien Jaffré
Cartes marines Julien Jaffré
Cartes marines Julien Jaffré
Cartes marines Julien Jaffré
Cartes marines Julien Jaffré
Cartes marines Julien Jaffré

Cartes marines Julien Jaffré

Vu samedi 11 janvier au Baz'Art à Libourne une très belle exposition, emballante même, de Julien Jaffré dit Ruliano des Bois. On voudrait toutes les acheter, ces affiches de "cartes marines au stylo bille", dessins autour de la mer + Bill Murray portant le bonnet rouge du commandant Cousteau, en capitaine de cette galerie de marines tatouées (ça change des tatouages marins) au charme ravageur, réalisés au stylo bille bleu et rouge (l'encre des premiers tatouages de marins) sur d'authentiques cartes marines, recouvrant partie de leurs lignes circulaires, noms, formes et couleurs de dessins pleins de charme. Compliqué à décrire, à voir ci-dessous. Postées sur mon compte Instagram, mes photographies des cartes marines de Ruliano des Boisi totalisent un jour après seulement plus de trente likes à ce jour sur mon insta. Yeah, mais je n'y suis pour rien, et non je ne suis pas une influenceuse. L'impact visuel de ces affiches, le savoir-faire de leur réalisation, le talent du dessinateur et son sens de la composition, allié à l'emploi de thèmes et motifs à la fois mythologiques et furieusement modernes (mode du tatouage, univers maritime, sirènes et marins, et l'icônique Bill Murray) font que je ne suis évidemment pas la seule à qui plaisent ces chefs d'oeuvre en série limitée.

Pour les deux assoiffés que nous étions mon mari et moi, au sortir d'une grande balade à vélo autour de Fronsac, son centre équestre, ses paluds et bords de l'Isle, où nous avions eu la chance d'apercevoir deux cigognes, des grues, des chevaux et, clous du spectacle, des chevreuils bondissants au bout de l'allée d'un château, une halte au Baz'Art s'imposait. Juste à l'entrée de Libourne, cent mètres avant le pont qui traverse l'Isle en venant de Fronsac, on peut trouver le Baz'Art au bout d'une allée, les pieds dans l'eau. Ce lieu sympa et "atypique", fort bienvenu dans le paysage culturel et gastronomique libournais, porte la triple étiquette de théâtre-lieu d'exposition et restaurant, italien depuis peu (dire : "osteria"). Espérons que ce lieu convivial et branché (oui, avec Mourousi et Mitterrand je continue à faire vivre cet adjectif) vivra longtemps, les spectacles ont l'air sympa et les expos aussi. N'y étions pas retournés depuis une autre belle exposition, l' accrochage il y a deux ans des linogravures de Philippe B., notre voisin libournais dont l'atelier d'artiste se tient au fond du jardin de la maison de ma mère. Achetée à l'expo, sa gravure "Modern Indian food and bar", enseigne de bar londonien au noir et blanc profond, trône au dessus de notre canapé parisien en velours bleu, auprès de laquelle je verrai bien certaine carte marine d'un bleu profond aussi...

Découvert l'endroit pour la première fois il y a trois ou quatre ans un soir de juin, en allant écouter avec ma mère le concert de fin d'année de l'école de musique "modernes" de Libourne qui se tenait là bas, merci les flyers du syndicat d'initiative. Bien assises dans les confortables fauteuils multicolores genre cinéma de la salle de spectacle, toute petite mais inouïe par sa présence en ce vieux bâtiment autrefois club d'aviron de la ville, ma mère et moi étions restées jusqu'au bout de la soirée, attentives aux prestations des élèves de l'école de musique, chanteurs et musiciens défilant avec leurs instruments les uns après les autres, au premier rang s'il vous plaît, tout comme des parents admiratifs que nous n'étions pas. Encore ingambe et pas si vieille, my old mummy que je traînais avec moi alors à peu près partout avait franchi sans fatigue à l'aller comme au retour d'un bon pas le pont de Fronsac, avant de retourner bien contentes de notre découverte à l'Épinette par le chemin quasiment en ligne droite, à travers les rues au tracé orthogonal de la bastide, qui toutes mènent au confluent de l'Isle et de la Dordogne. 

J'avais adoré la vue imprenable sur l'Isle et la ville, appréhendée depuis l'autre rive comme on ne la voit pas souvent, avec son monument emblématique la Tour du Grand-Port. De l'autre côté de l'Isle à Libourne, on ne peut manquer en regardant vers la droite sur la rive d'en face, celle de Fronsac, le grand bâtiment blanc avec sa grande inscription accrocheuse "BAZ'ART Théâtre" sur la façade. C'était encore il y a quelques années plus le club d'aviron de Libourne. Le propriétaire du nouveau big bazar a racheté le bâtiment sportif à la ville et l'a donc transformé en café-théâtre, lieu d'expo et restaurant. L'impressionnante hauteur sous plafond de sa grande salle de bar, à la belle charpente de bois apparente, permettait d'entreposer à la verticale les très longs avirons dans toute leur longueur. J'ai aussi photographié le mot "AVIRON", s'étalant en grandes lettres marrons et bleues à la peinture écaillée, comme rouillée de toute cette eau autour. Cette inscription du passé est toujours visible sur la façade de l'annexe du Baz'Art, réhabilitée en atelier d'art. 

Dispensée de sport à l'école depuis toujours (bien dommage, irrattrapable manque et honteuse lacune) à cause d'une néphrectomie superfétatoire, véritable bavure médicale pratiquée sur ma petite personne à l'âge de trois ans, je n'avais évidemment jamais mis les pieds dans cette institution libournaise, le club d'aviron, désormais déplacé au lac des Dagueys. Les adeptes de la discipline pouvaient alors s'entraîner directement dans la rivière, au pied de la Tour du Grand-Port, impensable aujourd'hui là où les bateaux de croisière s'amarrent l'été, déchargeant leurs cargaisons de touristes américains pressés de s'engouffrer dans leur autobus climatisé pour aller acheter des bouteilles de saint-émilion vendues à prix d'or. Des guinguettes se sont ouvertes sur les quais rénovés, où l'espace de trois jours en août se tiennent quelques uns des spectacles de Fest'arts. On peut y boire un coup assis sur un transat en admirant la confluence, même massacrée par le pont de l'autoroute de Clermont-Ferrand qui en barre la perspective, voir arriver le mascaret si on a de la chance. Une nouvelle galerie-resto-salon de thé s'est ouverte sur les quais cet été, jolie proprio sympa et vernissages annoncés, y avons vu une belle expo de sculptures en fil. Un adorable petit tunnel relie le bar à la berge, ouvert aux aux beaux jours. Le souterrain hélas constitue le dernier témoignage des nombreux tunnels qui servaient à amener dans les maisons de maître le bois, le vin, le charbon fraîchement débarqués par les dockers à  l'époque florissante des gabares sur la Dordogne. S'il n'y a donc pas que le Baz'Art pour prendre un verre à Libourne, c'est bien sympa d'y aller, par beau temps (comme toujours dans le sud-ouest dit la Parisienne) sur la nouvelle terrasse au bord de l'eau (prendre de la crème anti-moustiques), ou pour manger la pasta en regardant les tableaux sur les murs et passer les mouettes et les petits bateaux à moteur. Penser à me faire rémunérer pour toute ces publicités gratuites.

 

Au bar de Fronsac, on adore aussi les vieux fauteuils en plastique rouge et noir avec canapé assorti, tout droit sortis des années cinquante, qui font partie du décor tendance mitch and match (dépareillé, quoi) de l'endroit. Mon grand père Edouard s'est prélassé toute sa vie dans le sien devant la télé, penser à récupérer ce fauteuil au grenier s'il n'est pas trop abîmé et surtout si le locataire ne l'a pas volé parmi tous ses terribles larcins (les coiffes poitevines de nos aïeules, le rouet à filer la laine, le gramophone Voix de son maître et ses 78 tours, le sabre de uhlan que mon rigolo d'oncle avait glissé dans le lit de ma jeune tante du Lot-et-Garonne, venue dormir à Magné pour les fiançailles de mes parents, la faisant mourir de peur "boudu j'ai senti quelque chose de froid, j'ai poussé un cri". Tous objets portés  disparus, entre autres merveilles des greniers incasables dans nos appartements parisiens. A la brocante où nous avons fait halte avant d'entrer au Baz'Art, à cinquante mètres de là, nous avons vu exactement les mêmes fauteuils années cinquante, dont deux assortis à 250 euros la paire. Un fauteuil en rotin rond comme on aime est à 80 euros. Bien trop chers et intransportables à vélo de toute façon. Je me contente d'une petite soupière à couvercle en faïence blanche et bleue pour compléter ma collection de "terrines à pâtés" (dixit ma mère), bien utiles pour ranger rouleaux de scotch, pièces jaunes et montres Swatch des trente dernières années. Ah, tous ces vieux objets souvenirs... On a aimé avoir des parents et grand-parents conservateurs qui ne jetaient rien, avant qu'un salopard de locataire indélicat ne s'installe à demeure dans la maison de famille en déshérence et nous en dépouille le patrimoine sur tous les vide-greniers autour de Niort... Mon cauchemar, je passe mon temps à racheter ce que cet abruti nous vole impunément. Les affiches de Ruliano des Bois, il ne les aura pas.

Back to the future, here and now. Sur le programme de l'établissement je lis que le vernissage de l'exposition s'est tenu la veille, damned je l'avais pourtant pris à l'office de tourisme, c'est malin, il faudrait tout noter. Interrogé, le serveur au fort accent italien (je n'ai pas encore intégré la nouvelle identité gastromique italienne du lieu) confirme que "si, la fête, c'était hier". Bien notre veine, le fronsac promis sur le programme a dû couler à flots, comme la bonne électro qui sort à tout heure des haut-parleurs. A c't'heure pas d'alcool, c'est Perrier rondelle et Coca zéro pour mon mari et moi (avec l'accent élizabéthain, prononcer "My husband and aille") sur une table le long de la baie vitrée, l'endroit est presque vide à cette heure de milieu d'après-midi, seuls deux couples installés à la table d'à côté finissent leur déjeûner. Ils en sont au café et discutent avec force et accent, échafaudant semble-t-il de très sérieux et imminents plans commerciaux, et se frottent les mains de leur juteux et bien dans l'air du temps projet collectif, l'organisation de "guinguettes éphémères" nomades dans les grands châteaux viticoles, avec concerts et événements. Des restaurateurs argentés visiblement, qui savent de quoi ils parlent, je livre sans doute ici un scoop, mais que personne ne s'avise de piquer l'idée de ces messieurs dames espionnés ci-devant, sous les grands yeux de chien humides de Bill Murray.

Je me lève de ma chaise vintage pour un shooting photographique de ces belles images, épatantes et si détaillées, régal des yeux. Je vois sur son site que Ruliano travaille avec sa Carolina, qu'il est rochelais (la même région de Nouvelle-Aquitaine, mais à Libourne la marée vient de plus loin), et que ce graphiste sait tout faire, installations, typographies, sculpture, peinture, dessins. L'artiste a été exposé au CAPC, à La Rochelle évidemment, bref une sacrée découverte, à la réputation déjà bien installée. Au vu des prix affichés, suis bien tentée de faire l'acquisition d'une des oeuvres exposées par Ruliano des Bois. Cent euros l'affiche (des reproductions à tirage numéroté,  pas les originales, ne rêvons pas), soit à peu près ce que je gagne lors d'une journée de boulot, et by the way ce que je perds quand je choisis de faire grève pour ma retraite, me dit illico la voix de ma conscience raisonnable.

Il y a aussi des petites photos encadrées, sympas mais loin d'être aussi spectaculaires, enthousiasmantes et originales que les cartes marines tatouées de l'artiste, griffonnées de bic si habilement, fourmillant d'animaux marins, de coquillages, de plantes et algues, décorations exubérantes encadrant une sirène tatouée aux faux airs d'Ariane Ascaride jeune, un marin querelle de Brest, un homard (très tendance, le homard), un octopus façon Gilliatt, etc. Las, le serveur hipster (ça doit être le patron du restaurant) interrogé au comptoir nous dit qu'il ne peut pas nous les vendre lui-même si l'artiste n'est pas là (dame, s'il habite à La Rochelle !), mais qu'éventuellement il sera peut être là lundi... Rendez-vous pris de façon un peu désinvolte de part et d'autre pour lundi 10 h, jour prévu pour notre retour en voiture pour Paris, y'en a qui bossent mardi. Mais au vu des missions gériatriques qui nous attendent à la maison, aides-ménagères et débarrasseurs compulsifs que nous sommes devenus, sans parler de nos bagages éparpillés dans le maelström de l'Epinette, pas sûrs de notre schedule (aussi appris le mot "timeline" = chronologie, trop forte).

On se rendra compte trop tard que le serveur (le patron ?), plus préoccupé sans doute par la vente sans doute de ses paquets de spaghettis de marque que par le commerce des beaux-arts, ne nous a pas demandé notre téléphone. Des progrès à faire comme galeriste. Le lundi dit venu, faute de temps, d'honneur et de suite dans les idées, nous ne retournerons pas à Fronsac, où nous attendent toujours les merveilles de Ruliano, qui feraient si bien au dessus de notre canapé bleu. A la place d'aller acheter de l'art toutes affaires cessantes, nous sommes allés nous restaurer et remplir la panse à La Puce, resto routier bien connu des Bigaroux. Avons pris et repris du potage, des rillettes et des carottes rapées de son menu du jours, toujours roboratif et au rapport qualité prix imbattable, 14 euros bouteille de saint-émilion, soupe et café compris. Allez, nouvel aparté publi-informatif et repub, tout est bon à La Puce, cuisine traditionnelle garantie. Mais au mur de ce routier sympa, aucune oeuvre d'art à admirer, à part des photos encadrées de la famille propriétaire de l'établissement (la grand-mère la puce) et des images de jurades et de tastevins (z'avez qu'à être Libournais pour savoir ce que ça veut dire). Nulle vue non plus sur la rivière dans cet endroit de rêve, juste le flot ininterrompu des poids lourds qui s'encadrent dans les fenêtres et font trembler les murs. Oui, nous avons préféré dépenser 42 euros à nous trois et nous empiffrer d'entrecôte aux échalotes et de poulet rôti (dédaigné la canette, ce volatile brunâtre sec tout en os), et risqué l'écrasement par un 36 tonnes en retraversant bien lestés la très passante départementale de Bergerac, plutôt que donner notre obole à un artiste vivant, pour avoir le droit d'emmener une de ses oeuvres qui pourtant me plaisent tant... Espérons que Ruliano ne s'est pas déplacé pour rien et est resté ce lundi là à Sherwood, Charente-Maritime... Il me semble me souvenir que le serveur dans sa barbe de hipster nous avait dit que l'artiste à capuche ("hood", capuche, pas "wood" bois) devait venir de toute façon lundi...

Ouf je respire, soulagée, et puis  l'expo dure jusqu'au 10 mars. Encore le temps de revenir dans ma chère bastide pour faire le tour à vélo de la palud de Condat et le tour du lac des Dagueys à vélo, des incontournables auxquels rajouter maintenant la halte bistrot-galerie de Fronsac, je vais pas répéter son nom, je vais finir par être en tête des requêtes Google au sujet du Baz'Art, moi. Pour acheter à Julien-Ruliano, s'il en reste encore, une de ses merveilles qu devraient s'arracher, pour faire des jaloux à Paris (mais où tu as trouvé ça ? c'est génial !), un des exemplaires (sur 50, pas de blague) des ses belles cartes marines. Dernière question : laquelle choisir ? Bill et son bonnet et ses yeux craquants ? La sirène ? (fuck, Didier n'aime pas)

[si !!! retourné s'occuper de mère-grand à Libourne, MON AMOUREUX MARI VIENT DE ME L'ACHETER ce 21 janvier, quel royal cadeau merci !] 

ou bien le homard, pour faire pendant à mon chef d'oeuvre peint à l'atelier Legendre ? J'aime tout et ne sais pas choisir. Réfléchir aussi à la devise de Robin des Bois, transparent pseudo de Ruliano, "voler aux riches pour nourrir les pauvres". Acheter aux artistes vivants pendant qu'ils sont en vie (et qu'ils ne sont pas encore trop connus et chers), surtout s'ils ont du talent comme Julien Jaffré, aka Ruliano des Bois.

Aviron, rivière Isle, Libourne
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