Des black swans de Christophe

Publié le par L'Aquaboniste atrabilaire, ou Princesse Rabiola

Christophe chéri, j'ose qu'en cette journée c'est bien toi qui m'a envoyé ces petits signes, cygnes noirs ou blancs, à interpréter selon, comme la pauvre étoile Nathalie Portman dans Blackswan, revu ce soir sur Canal, découvert quelques semaines après ta mort, en mars 2011, et montré didactiquement à ma pauvre maman. Oscar de la meilleure actrice, son visage fêlé sur l'affiche Black Swan, symbole de la schizophrénie, la coupure cassant le visage et dans le cerveau, la dislocation (et toi tu as poussé ça à l'extrême, sous le TGV implacable), mais ces plumes qui poussent dans le dos et les palmes sur les mains, toutes ces représentations filmées, le sont-elles représentatives vraîment de ce qui se passait dans ton esprit schizoïde, ou désorganisé, ou malheureux, tout simplement ??
Donc, tout au long de la journée, dimanche 8 mai férié par la grâce d'un Armistice, gloire à nos vétérans médaillés, la chair à canon mérite le respect,  pas grand chose à déclarer, mais de petits riens qui me fontt du bien,et qui me confortent dans l'idée que des fois tu ne serais pas tout à fait disparu. A la table Hippopotamus (nous ferons dans le luxe un peu plus tard dans la journée), mon cher fils aîné, brillant et admirable par bien des côtés, et my first born pour lequel je crains toujours le p..., et que j'adore, ne me le rend qu'en m'engueulant sévère, en me frappant, cheveux tirés etc. Là j'ai encore droit à des horions, Monsieur ne comprend pas et est ulcéré au plus haut point par mon évocation "surréaliste" (mais non petit ignare, n'as tu donc jamais lu Nadja ?)   , bref par mon annonce un tantinet provocatrice et fantasmagorique, et certes je le concède bien  irréaliste, mais quelle formidable expiation ce serait, d'aller habiter, par envie d'arbre en fleurs, de tramway au bout du campus, d'une mutation bordelaise en B.U., et de retrouver le petit frère par l'appropriation de son petit studio, cadre de la vie terrible de mon cadet, à Pessac.
"Là ça  va trembler, tu en verras des poltergeist", me prévient-il, goguenard, ou d'une méchanceté inouïe. Est-ce de l'amour, de la haine, de la jalousie, du sentiment de trahison ? Louis je t'adore, mais non je ne crains rien ni personne, les poltergeist de Christophe sont les bienvenus, son esprit fatigué ne me fait pas grand signe, ne t'en fais pas.
Pourtant nos morts sont parmi nous et la sienne est "clouée en moi". Comme lu dans les magnifiques dessins et gravures, soulignées de textes remarquablement sensibles de Frédéric Pajak, écrivain, dessinateur, graveur... (le fils de Jacques Pajak), dans la belle
 
Tableaux d'Yvan Salomone qui réalise des aquarelles sur papier de zones portuaires, aquarelles sensibles, dénuées de présence humaine, expériences visuelles d'une proximité estomaquante ; Sol LeWitt et ses 60 planches de photographies d'éléments de son quotidien. Beaucoup de pendules, how much time ?
  
   Autobio60 
 
Quel bonheur d'emmener ma vieille maman qui marche encore si bien, malgré sa broche en titane dans le genou, et ses chaussures compensées à 15 EUR achetées à  Cala d'Or, qui lui font un mal de chien et la font tanguer dangereusement, mais non "elle y tient drôlement" et pas question de me les céder... Je lui offre un café au Fouquet's : ça coûte un bras, 8 EUR l'expresso, et 10 EUR le café viennois. Mais depuis le vernissage du livre d'Agnès Varda, en 2010, invitée par l'éditeur, où elle apparaissait, si fragile, au bras de son attaché de presse, canne à la main, cheveux bordeaux et casque falconettien, mais la meilleure metteur en scène des affres des sans toits ni lois, et des plans serrés sur la géographie des tâches de vieillesse de son mari Jacques Demy. J'y avais bu des flûtes de champagne un peu honteuses, intimidée en ce lieu si cinématographique (mais un rien vieillot ces fauteuils bordeaux, ces moquettes, ces dorures ?). Des portraits d'acteurs partout. Des fresques sur les murs, où on reconnait dans un paysage marseillais, Gabin, Ventura, Michel Audiard. Et une haie d'honneur de plantes vertes en pot un rien majestic autour du tapis rouge, cerné de plaques dorées avec inscriptions des noms d'acteurs français : Isabelle Adjani, Gérard Depardieu, plein plein, et devant à droite : Tonie Marshall ?? J'adore Micheline Presle et sa fille, mais un rien curieux, cette présence indé, dans le temple des Césars. Un passant, nous voyant regarder les menus (85 EUR !) : "Sarko, il est là ?". Non, y'a rien que nous, et du mobilier un rien fatigué. Bon j'y suis retournée, en payant, cette fois, et ma mère ravie a fait 3 fois le tour des lieux en sortant des toilettes. Ô Christophe, dans ces lieux jadis fréquentés par le popeux clubeux José Artur, tu ne serais sans doute pas entré.
Juste à côté il y a l'impressionnant immeuble du malletier layetier Louis Vuitton, mécènes héritiers Moët-Hennessy qui ne lésinent pas sur la qualité de leurs expos d'art contemporain, accessibles par l'ascenseur dans le noir, capitonné, rupture du monde sensible. Mais on choisit de descendre côté magasin, direct dans le saint du saint du luxe et des malles à 2000 EUR, des tables et des fauteuils et des bouquets, des flûtes de champagne, encore, pour les acheteurs plus que potentiels, parmi tous les acheteurs, japonais en nombre, sous le toit dôme en fils de cristal ou de métal, si photogénique (mais j'ai bien l'impression d'avoir perdu mon portable, ne manquerait plus que ça...), nous sommes bien les seules à être chaussées moi de fausses Converses (pas des "Adadas" quand même, disait Nico), et de compensées pur plastoc, armées de sacs à 5 ou 6 EUR issus de marchés ou de vide-greniers... Avec quand même les sacs plastiques pesant leur poids au bout des bras, lourds de jolies boîtes bien kitsch mais pour mes cinquante ans et ceux de ma voisine (ex) et conscrite de bureau, bien contente de ramener de chez Marks and Spencer ces boîtes métalliques roses londonien, spéacial jubilee de la Queen Lilibeth, plein de couronnes stylisées, au graphisme sympa et aux shorbreads sûrement à tomber.  
      
 
Mais non chez Louis Vuitton le personnel est beau et souriant, et ne nous prend pas de haut, nous parle aimablement (alors qu'au Fouquet's les serveurs sont à peine courtois et parlent entre eux en langage de charretier, ou du moins de taxi parigot, c'est pareil ?). Donc voilà ma mère ravie d'avoir découvert coup sur coup deux must parisiens, lieux à touristes, mais ne suis-je pas restée une touriste moi-même depuis tout ce temps dans la capitale, à ne rien intégrer, dans tous les sens du terme... Christophe, j'aurais aimé te faire découvrir tous ces bons petits plans, archi connus, mais pourquoi pas nous, avec tant d'autres, à arpenter les Champs ? Pas le plus beau lieu parisien (quoique, du haut du 7e ou 8e étage de l'immeuble Vuitton, sacrément jolies les cimes vertes des arbres encadrant les deux avenues des Champs-Elysées et avenue Montaigne (là j'ai un doute...). Baies ouvertes, sur une terrasse inaccessible, mais plein les yeux (le matin même nos deux présidents se touchaient le coude pour un passage de témoin ma foi assez fair-play, devant la flamme du soldat inconnu, sous l'Arc de Triomphe. A la télé, on aurait dit qu'ils faisaient un barbecue de fleurs, quelle drôle d'idée).
Partager l'intimité des artistes donc, dans cette expo au 8e étage du LVMH building, où j'ai vu les dessins autobiographiques de Frédéric Pajak, qui parle de ses morts intimes, du suicide de son cousin, de la grande solitude, des mots qui ne sortent pas, du langage "d'autorité", si loin de lui. Je dois retrouver ses mots. Il a écrit des romans graphiques. C'est extraordinaire.
D'un point de vue photographique, et plus calme et posé, me rappelle la rencontre avec l'oeuvre denull Denis Grozdanovitch, ses photos de vie, de nature, d'endroits, accompagnés de textes qui expliquent les circonstances des prises de vue. A me procurer d'urgence, cadeaux d'anniversaire à moi même. Catalogué dans une trop grande urgence, comme d'habitude.
Et mon Christophe, où étais tu donc ailleurs ?
Sur les murs ronds (rotonde centrale) de l'Espace Louis Vuitton, une bande dessinée de David  B (!) "L'ascension du Haut mal",     sur la maladie (épilespsie, mais qui rime avec folie, et qui semble avoir mal fini) de son frère Jean-Christophe, qui lui manque. Ces deux frères aînés, dessinateurs à deux mains de romans noirs, avaient une soeur, âgée de 11 ans en 70, donc 3 ans de plus que moi. Et nommée Florence, l'équivalent générationnel de ma "sagesse" grecque... Il y a ton prénom, celui de mon frère, et celui qui a failli être le mien, et qui était celui des filles de ma génération, 61/62. Histoires de famille, souvent tragiques, autobiographiques, qu'il y a de plus vrai et de plus immédiat que ce qu'on ressent, de l'intérieur et de l'extérieur, la vie n'est qu'un tissu chaotique d'impression et d'expressions (mais dans mon cas c'est plus rare, à part ici merci l'overblog, avant de reprendre crayons, pinceaux, et stylo bic, même au risque de l'illisibilité). L'expo "Autobiographies", à revoir, ou à lire ici et là, car le 20 juin tout sera décroché.
Ma Clara, "J'ai 15 ans", vient-elle comme en s'excusant, à minuit vingt-cinq de ce 9 mai ou en 1997 mon bébé "je vous présente l'obèse du service" plaisantait la sage-femme de garde de la maternité Bichat de ma crevette adorée, bon anniversaire ma puce. Tu es la nièce d'un jeune homme qui n'a pas eu de vie, ou bien triste et difficile, et qui a rendu celle de ses proches pénible aussi. Mais moi j'avais les Champs comme échappatoire, et les dessins et les expos et les livres des autres, tandis que lui avouait qu'à la fin dans son studio de Pessac il "ne savait plus quoi faire, et dormait l'après-midi". S'il te plait petit frère, s'il me plait de sentir ta présence (mais non à peine, rien que des coïncidences, synesthésies, concommittances, quel est l'autre nom pour ces signes qui me font foi, ma seule Foi ? J'y suis ! "synchronicités".
Se mettre sous la dent seulement de pauvres petites observations, quand je pense à toi, tiens une enseigne "CHRYSALIDE", au détour d'une rue, c'est presque ton nom réuni en un seul, et c'est signe de naissance, de métamorphose, de mue ou de renaissance non ? Mes réminiscences pascales...
Dans l'expo il y a des feuilles de textes en allemand, pas le temps avec ma mère distraite et déconcentrée de me plonger dans ces belle lignes à la graphologie germanique, mais je lis du "72" et du "Vater". C'est bien au 72 rue Galliéni que tu t'es écrasé au sol, incrusté dans les roches du ballast, on t'a jeté sur tes restes de la chaux vive, ai-je lu dans un des nombreux articles sur les suicides ferroviaires que je ne peux m'empêcher de rechercher fiévreusement sur le net quand ça me prend, l'angoisse de toi (ceci alors que demain même j'ai mon entretien professionnel avec Charlot, je décide d'ores et déjà, mais m'y tiendrai-je ? de ne le lui offrir et présenter que langue de bois, comme d'ailleurs l'est la sienne, ce pauvre empêché de la parole, tout comme moi, mais lui en haut de l'échelle, catégorie A comme Assommant, A-côté-de-la-plaque, Abbhoré-par-son-service, atc... Comme quoi, si tous les bègues du monde voulaient bien se donner la main, mais là non, je m'attends plutôt à un sérieux revers, demain.
La boutique Chrysalide, elle était à un numéro 72 d'une rue du quartier des Champs, avenue Hoche ou Wagram, ces beaux quartiers où nous n'avons que faire, que les traverser en 31 (pas sur le nôtre en tout cas, casual wear de rigueur pour ma taille 44, je suis une porcasse), tout près d'une boutique "Acanthe" (les feuilles d'acanthe, c'est bien de l'immortalité sur les colonnes grecques ?  colonnes, colonnes... tirons la métaphore : Christophe, Colom ?), située au numéro 66 d'une rue, signe diabolique, trop simple d'y croire, mais tout ce mal que tu t'es fait, depuis ta naissance "cette année là" (même pas sur l'air de Cloclo, celle là c'était pour moi, l'année 62).
Renseignements pris, l'acanthe était surtout utilisée dans l'architecture funéraire pour indiquer que les épreuves de la vie et de la mort symbolisées par les piquants de la plante, étaient victorieusement surmontées. Elle orne les chapiteaux corinthiens, les chars funéraires, les vêtements des grands hommes, parce que les architectes, les défunts, les héros ont triomphé des difficultés de leur tâche. Comme de toute épine, on en a fait aussi le symbole de la terre vierge, de la virginité ; ce qui signifie aussi une autre sorte de triomphe. Celui qui est orné de cette feuille a vaincu la malédiction biblique : Le sol produira pour toi épines et chardons (Genèse, 3, 18), en ce sens que l'épreuve surmontée s'est transformée en gloire.
  Et partout je montre à maman les boules de buis, plus vraies que fausses, comme la tienne ramenée fermement à Paris, depuis le haut de ton armoire, où l'avais tu ramassée, pauvre hère dans Bordeaux, moi merci frérot elle fait très bien dans mon jardin, dans un grand pot, parmi les aucubas, les troènes, l'olivier, le prunus, car oui j'ai cette chance d'un peu de nature dans Paname, et ta boule de buis même fausse même en plastique, elle se retrouve partout, par paire, dans les beaux quartiers, encadrant entrées d'hôtels et de chics immeubles. Merci de l'avoir ramassée pour moi. Le buis, buxus sempervirens, celui des Rameaux ; celui qui continue à pousser tant bien que mal près de la porte de Magné ; ceux jumeaux qu encadraient l'escalier de pierre de Masquières, dans lesquels nous nous cachions enfants, avec les poules ; la jeune pousse qui vivote sous l'escalier du jardin de Royan ; quid de Libourne, et chez moi ta boule de buis, pur plastique vert, je n'aurais pas besoin de l'arroser !  
En "digne soeur de ton frère", dira ma mère, je raflerai un joli verre à eau oublié dans une salle de projection de l'expo, fascinant vieux monsieur alité, à l'accent du Sud-Ouest, qui raconte sa vie devant la caméra DVD de la cinéaste Noëlle Pujol, pas bien compris toutes ses histoires de "biens", d'allocations handicapé, ma mère fascinée prendra ces images pour de la "3D, du relief", comme écouter un vieux voisin occitant se plaindre et rigoler à la fois dans votre oreille valide, la droite pour elle, la gauche pour moi. Mais ça aussi c'était de la vie, il n'y a plus que ça à poursuivre, et essayer tant bien que mal d'écouter la toute petite voix des morts sur nos chemins, parisiens et ailleurs, sans trop s'en faire accroire, à croire.
 
 

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Publié dans dans l'art

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