"Sous influences" de psychotropes à la Maison rouge

Publié le par L'Aquoiboniste atrabilaire

 

Exposition « Sous influences : artistes & psychotropes », à la Maison rouge le long du port de plaisance de la Bastille, où il est toujours « plaisant » de longer les bateaux, choisir le sien, s’imaginer par exemple au port de Sète, et finir rituellement par s’attabler pour boire un verre à la terrasse du café à l’entrée du port, tout près de la place de la Bastille mais loin du bruit des voitures devant les mouettes. Ca calme et ça détend bien, et ça pourrait même faire planer ou tout au moins rêver, cet environnement fluvial, ce havre de paix sous les pavés au niveau de la plage.

Auparavant on sera allé voir donc une expo de plus à la fondation Antoine de Galbert, dans sa maison rouge. Les visuels dans la presse sont alléchants, et les critiques favorables . On retrouve toujours sur papier glacé les mêmes pois rouges et blancs, ceux des ballons et structures gonflables imaginés par la styliste japonaise  en vitrine chez Louis Vuitton, mystérieux et ludiques. Tout ce que devrait provoquer la prise de psychotropes, dans le meilleur des mondes, de l’aide à percer le mystère dudit monde, avec le goût de jouer avec des couleurs et formes exacerbées par l’imagination. Las ce n’est pas toujours comme ça que ça se passe, les acid trips sont souvent bien plus lourds de conséquence que ces jolis ballons aériens, qui s’arrêtent de bouger quand on ne les touche plus. Là, on n’a touché à rien, rien pris du tout avant de venir, quoique avec une, deux ou trois bières dans le coffret tout aurait été sans doute un peu plus swinguant… Et les ballons se méritent, trouvés seulement au bout du parcours un peu vain et fastidieux de l’exposition (le couloir d’entrée dans l’expo, foutage de gueule en polystyrène blanc signifiant lourdement l’idée d’une initiation offerte gratieusement au visiteur néophyte et profane. Ces ballons rouges, pas ceux du film d'Albert Lamorisse (1956) sont la récompense quand on pousse la porte du sas cubique, pièce ou boîte tapissées de miroirs et emplie des formes molles de Yokoi. L’effet visuel est immédiat, dans quel monde est-on tombé, du rouge et du blanc partout, se réflétant à l’infini sur les murs et au plafond, c’est rigolo, effet Alice au pays des merveilles, et là au moins les gardiens ne regardent pas, on peut mitrailler à tout va, tous les appareils numériques sont de sortie. 2013-03-07 18.05.10Yakoi Kusama, née en 1929 à Matsumoto, Japon, vit et travaille à Tokyo

"Infinity mirrored room - Dots obsession, 1998" - FRAC Midi Pyrénées

 

Malgré tout cinq minutes plus tard la maréchaussée va entrouvrir la porte pour japper « Pas de photos », mais trop tard clic clac l’affaire est dans le sac.

Art et toxicomanie, mariage heureux ? Oui et non, comme tout ce qui semble toucher aux drogues, ça commence bien et ça finit mal, l’addiction est au bout et l’overdose guette, clichés médicaux bien connus, malheureusement tout ce qui fait du bien sur le moment et donne du plaisir fait surtout du mal aussi, on le sait. Enfin j’en parle sans rien en savoir ou presque, ne me suis jamais piquée (quoi que l’étant complètement !) et ne me suis pas envoyé grand-chose dans le nez, pas fréquenté assez d’amis qui m’aient amenée à m’addictionner aux substances qui font sortir de soi-même et élargir les portes de la perception, n’ai rien essayé, connaisseuse de rien, pauvre de moi.

 Juste le souvenir dans ma vingtaine d’avoir tâté deux ou trois fois de la prise de coke, drôlement aimé sentir la poudre, je fus rendue toute vive et gaie, réactive, désinhibée, bavarde et sociable, un rêve de fille et de comportement social. Lendemain pénible, mal partout, dans les reins, dans le dos, n’ai pas recommencé l’expérience, pas par peur des conséquences physiques, juste les opportunités qui ne sont pas venues, tant mieux peut être, serais devenue addict vite fait à ce produit magique et dangereux. Pas plus fumé ou tiré sur des joints que je ne sais pas rouler, n’ai jamais rien ressenti rien de spécial, est-ce ballot. Je n’ai pas eu besoin de me refaire une santé après des conduites à risques et maintenant rien ne m’est proposé, pourtant Saint-Ouen le supermarché de la drogue est tout à côté, me reste juste à m’inquiéter pour mon ado qui ne manque pas elle de fumer des bédos dès qu’elle en a la récurrente occasion.

Par contre la bibine, bordeaux capiteux ou bourgognes allègres, la bière, les mojitos, les vodkas oranges, les whisky coca et autres liquidités  je ne crache pas dessus ; les états cotonneux ou aiguisateurs de sensations que donne l’alcool, je vois bien ce que c’est, je ne peux m’empêcher de les rechercher parfois, en société ou en alcoolo solitaire même pas honteuse, c’est du propre mais ma petite santé n’est pas en péril pour autant, sobriété requise dans ma vie gris souris. Pourtant, voir comme ça trois tours de Notre-Dame, la faute à un gros litron de rouge, ça serait rigolo ? 2013-03-07 17.44.46"Triple Notre Dame", 2001 par François Curlet (né en 1967, vit et travaille à Paris)

 

Entre soi et soi oui, pour changer un peu de point de vue, développer d’autres sensations mais gare à l’alcoolisation ou à la prise de substances quand à tout moment ça risque de vous faire déraper, conduire à la violence, à la perte de contrôle, aux accidents… Quoi d’autre pour troubler la conscience des braves gens, plus rien ou presque ne choque aujourd’hui et c’est tant mieux, chacun fait c’qui lui plaît plaît plaît. Mais irréductible et indépassable, reste le garde-fou donné par la connaissance et le savoir, donné par les médias et les pouvoirs publics, et aussi souvent l’expérience de la vie, des terribles conséquences de la prise de drogues, le côté ultra risqué de ces conduites pour soi et les autres.

Allez stop ce prêchi-prêcha fastidieux, tout le monde sait ça et on s’en contrefout, ce n’est pas le propos, ça sent à plein nez la morale à la papa et l’expression est mal choisie, aujourd’hui les papas et les grands-pères sont souvent d’anciens soixante-huitards qui ont tout essayé, certains portent même des Rolex au poignet ou écrivent des livres à succès, ils se marrent bien et kiffent la life, quand ils ne sont pas morts de l’abus de ces substances jouissives, illicites et dangereuses. 

Pourquoi alors me crois-je obligée ou me lancé-je dans ce préambule façon « attention, drogue ! » poussif et même pas informé pour parler de ma rapide déambulation à la Maison rouge au milieu des œuvres présentées dans l’expo « Sous influences » ? Peut-être parce que je ne l’ai pas été si souvent que ça, sous influence d’icelles, les drugs dites psychotropes, qui affectent le psychisme, les substances psychoactives, quoi que j’en dise. Constater aussi, un mois après le premier jet de ce post, que le joint qui tourna lors d'une fin de dîner, en week-end gay friendly en vallée d'Auge, ne me procura pas grand chose d'autre qu'une certaine détente et aisance fort utile pour remporter le Time's up, et surtout ne pas broyer trop de noir lors de la nuit blanche qui suivit l'orgie de vin blanc.

Plutôt me procurer coûte que coûte pour le relire à mon aise, loin de la belle maison normande délabrée et bourgeoise, dont les odeurs de cheminée et les croisées de fenêtre donnant sur un horizon infini de verdure vallonée me rappelèrent tant mon Masquières perdu, le très bon roman autobiographique (?) de François Baudot, "L'art d'être pauvre" (entendre jet setteur et gay). Lu en deux heures au lit au petit matin gris, pas eu le temps de le finir, vite reprendre ce presque documentaire  au style impeccable, qui en dit long sur les années dope, fin 60, 70 et 80, de New York à Paris, où l'auteur égrène tout un chapelet de souvenirs, madeleines de Proust trempées dans l'acide, fascinante pour les non un-happy few, ceux qui n'ont pas cette mémoire de faits sous influences : la "révolvérisation" de Warhol par une illuminée ayant fait irruption dans la Factory ; Pascale Ogier au souffle au coeur foudroyé par de la coke non coupée ; et avant la Cafe society du Baron Rédé, l'Hôtel Lambert brillant comme une hallu, etc...  

 

Comment se rendre compte de l’effet et de l’influence sur la composition des œuvres par la prise de la prise de drogues par les artistes, quand soi même on « n’y connait rien », à part un p’tit coup dans le nez par ci par là ? Surtout quand bon nombre d’œuvres, la majorité, ont été réalisés par les artistes en pleine conscience, présentant juste une allusion de près ou de loin à la notion de psychotrope, quasi documentaire ou référentielle.

Herman de Vries, artiste contemporain vivant et travaillant aux Pays-Bas (homonyme, à un N près, de mon ancien psychothérapeute comportementaliste de la rue Caulaincourt, aimable barbu proposant des traitements efficaces et concrets contre les phobies empêcheuses de vivre en rond), dont je raffole du grand tableau hypnotique, fait de lignes de mots tracés aux crayons de couleur aux nuances de vert, quels mots, pas compris, pas resté devant assez, mais happée par la linéarité de la calligraphie, composant une œuvre forte et apaisante, tenant le registre des "ashes of joy", les pipes fumées jour après jour, de ces plantes inhalées devenues corps de l'artiste. Avec son herbier en hommage aux sorcières et à leur connaissance des remèdes comme des poisons, pour que perdure l'esprit de "ces femmes assassinées".2013-03-07 18.13.59

    Herman de Vries, né en 1931 à Alkmaar aux Pays-Bas, vit et travaille en Allemagne

The Saviours, 2012, crayon de couleur sur papier (93 x 152 cm)

2013-03-07 17.29.08

Herman de Vries, né en 1931 à Alkmaar aux Pays-Bas, vit et travaille en Allemagne

Monumenta lamiae, 1985 (herbier sous verre : aconitum, purpurea, belladonna, valeriana...)

 

Plus facile à avaler et à se procurer, les cachets et pilules répertoriés, collectionnés et conservés par jolis paquets colorés et encadrés, prescrits sur ordonnance à Sophie Calle par un mystérieux collectif artistique et médical. Fakes ou expériences réelles, de la part de la grande manipulatrice on penche plutôt pour les premiers, trop jolies ces ordonnances tapées à la machine et tamponnées, énumérant sous forme de listes la quasi exhaustivité de ce qui fait de mieux sur le marché français en matière de calmants, tranquillisants et autres anti-dépresseurs.

Un artiste aussi conceptuel que la grande Sophie a eu l’idée de noter ce qu’il ressentait lors de balades ou de parcours sous différentes substances, toutes consignées eux aussi sur listes dactylographiées, avec petits tirets. Les ressentis sont assez pauvrets, ça tourne, « troubled », « confused », bref tout à fait lostien et sans porte de sortie sur le paradis.

 « Drugs » en anglais ça veut dire aussi « médicaments », ce qui soigne peut droguer aussi si on consomme sans modération, souvenir des peoples overdosés que furent les vacillants et superbes Édith Piaf, Elvis Presley et aussi Michael Jackson et son docteur meurtrier. L'usage de drogue chez les artistes est peut-être plus l'apanage des musiciens, des stars du rock (Hendrix, Janis, Morrisson, Pete Doherty, la liste est longue) comme des jazzmen des années 50 (Chet Baker dans le jazz, souvent arrêté pour usage de drogues) que des peintres, quoique pour pouvoir créer il faut une maîtrise, il faut de la lucidité, sino  pas de création humaine, c'est consécutif à la drogue, pas contemporain à la prise de substance hallucinogène.

"Steak and kidney", de la série : "Last supper series", 1999 (Chicken, Liver bacon onions, Mushroom, Bean chips, Sausages etc.) de Damien Hirst, né en 1965 à Bristol, G.B., vit et travaille à Londres 

 

Les sérigraphies multipliées et warholiennes de Damien Hirst sonts autant de boîtes de médicaments géantes, avec la signature de l’artiste en logo chaque fois différents, et ce sont les noms d’aliments banals et quotidiens, des « beans », « salads » et autres « sausages » pas si sûr quand cette fois pas ce ne sont qui remplacent les noms des archi-consommées et devenues elles aussi les nourritures quotidiennes de la société, les marques Zyprexa,  Séroplex ou Alcyon. Ces grandes reproductions sous plexiglas du design de marques de médicaments reconnaissables par leur packaging (pouvoir visuel du médicament par son emballage) ne sont pas particulièrement esthétisantes, on dirait une campagne de pub pour des produits de consommation, juste un détournement somme toute assez drôle et par là réussi nous signifiant aussi que nos habitudes alimentaires ne sont pas si inoffensives en ces temps de traçage indécis de viande bovine et de scandales alimentaires. Le titre fait référence à la Cène, caractère définitif et sacré de l'oeuvre, D. Hirst rappelle la "confiance totale" de sa mère allant chercher sa prescription chez le pharmacien.

 

Bien aimé l’extraordinaire série des dessins d’auto-portraits de Bryan Lewis Saunders, artiste performer et musicien, oeuvres sur papier réalisées en technique mixte (29,5 x 21 cm chacune) depuis mars 1985 toutes avec une technique et un style différent, montre l’artiste avec jamais la même tête, sous l’emprise qu'il est d’un produit différent par dessin, diverses substances changeant l'inspiration. Un peu dommage, l'encadrement maladroit par de cheap baguettes noires, mais la série est à la fois drôle et émouvante, la même tête habilement représentée ou tracée à traits hâtifs d’affreux jojo sale et l’air souvent méchant.

Son "Zyprexa" montre la cérémonie ritualisée de la remise des médicaments dans les hôpitaux psychiatriques, j'ai vu ma mère faire la queue de la même façon pour recevoir ses anti-dépresseurs à l'antenne de Sainte-Anne dans le XIXe, au milieu des schizophrènes en blouse bleue dont elle ne se doutait pas qu'ils fussent atteints de la même maladie que son fil; dont elle ne supportait pas la récente perte.  2013-03-07 18.03.25

Bryan Lewis Saunders, né en 1969 à Washington : Autoportraits sous produits, 2005

 

Comme quoi l’art est difficile, drogues dans l'art, question des sources de l'inspiration pour les artistes : l'expo fait le point sur ce que c'est l'acte de rêver et l'acte de créer, en tout cas il ne suffit pas de prendre des substances pour devenir un génie... Art et drogue font il bon ménage ? Pas sûr que la prise de dope aide, c’est le même le message récurrent de l’expo, plus on est défoncé pas mieux on crée, ou peut être moins bien... Cf les œuvres issues d’écritures automatiques ou dictées par les « esprits », toujours mystérieuses mais souvent inintéressantes et fades, tels les dessins d’Henri Michaux qui ne m'ont jamais beaucoup plû, mais je dois être de bois et de marbre faite. Les autres aussi, pas grand monde devant, et pas plus devant Antonin Artaud et son douloureux visage. Serait-ce plutôt par les mots qu’on rend le mieux compte de ce type d’expérience, voir « Les fleurs du mal » de Baudelaire, dont un exemplaire relié (ressemblant à l’édition héritée du grand-oncle) est ouvert sous vitrine, sont-ce les « Paradis artificiels » qui sont donnés à lire ?

On se retrouve davantage plongés au cœur du sujet et des ténêbres quand confrontés aux photos de Nan Goldin, déjà vues mais toujours extraordinairement émouvantes et fortes, un autoportrait lumineusement amoché et fragile et un portrait vénéneux d’amis, montrant des personnes « sous influence », sans complaisance. Comme le travail photographique de Alberto Garcia-Alix mettant en scène lui-même ou des amis camés, dans des noirs et blancs implacables, comme les bras tatoués de Daniel Darc. Portraits toujours furieusement provocateurs et sexy, my taste even if not my kinda life, plus que l’image du moins connu Antoine d’Agata photographiant une prostituée de Pnohm-Penh, maigre à l’extrême, couverte de cicatrices de piqûres d’aiguilles et partenaire d’étreinte borderline.

Le duo d’artistes Art orienté objet (AOO) se montre sur des photos prises lors de transes, au Maghreb ou en Afrique, les photos sont reproduites sur des toiles flottantes, formant paravents ou tentes, c’est très beau et on aimerait voir s’animer les images pour ressentir et comprendre les expériences montrées là.

 

Face à ce genre d’œuvres, portraits photographiques, individuels ou de groupe,  on n’a plus affaire à un processus créateur d’œuvres utilisant la référenciation à distance ou le détournement ironique (même si en relation avec des expériences plus ou moins connues vécues par l’artiste, Calle ou Kiefer se sont bien éclatés aussi) mais le médium de la photographie permet d’approcher au plus près de la vérité du ressenti de la prise de drogues, de ses effets et des phénomènes produits sur les corps figurés et aussi leurs esprits.  Effet vérité garanti, les drogués photographiant des drogués, eux-mêmes ou leurs compagnons, transformant les regardeurs, nous-mêmes, en autant de voyeurs. Mais la distance instaurée par la mise en scène réalisée par le photographe évite tout pathos, on regarde des photos de Goldin et de Garcia-Alix, grands artistes, et pas des témoignages sur les ravages de la drogue. Ce ne sont  pas des illustrations de livres de médecine ou des reportages sur les bas-fonds de Bogota ou la grande époque du Palace qui sont donnés à voir, documents qui auraient sans doute eu leur place ici si l’exposition avait voulu aussi porter un regard documentaire sur le phénomène de la drogue, consommation et usages. C’est peut-être ce qui manque ici, un aspect réellement documentaire, des faits, des constats médicaux, des chiffres, une géographie, une étude de ce phénomène de société, avec un rappel biographique sur les artistes, précisant les liens que les uns et les autres ont pu avoir avec les drogues, avec ou non "a monkey on his back" ?

 Accumulation sans logique apparente (mais quel besoin de logique ?), rapprochement pas évident de nombre d’œuvres de genres et d’époques différents, stars du marché de l'art vs artistes méconnus (en majorité), très bien on aime la confrontation, mais dommage pas de textes pour expliquer, hormis le petit opuscule délivré à l’entrée, et encore qu’on nous invite à déposer dans une boîte à la sortie, « si on en a plus l’usage ». Comme on ne nous a pas proposé de tester les dites substance prises ou évoquées par les artistes (je rigole, le moëlleux au chocolat du bar est très bon), on va au moins garder la brochure, pour essayer de comprendre ce qu’on a vu. Au sous-sol, des sièges propices à regarder des petits films assez nuls permettent aussi d’enfin lire ladite brochure, et de comprendre enfin ce qu’on a eu sous les yeux depuis le début de la visite.

On a bien aimé la pièce comme tapissée d’un papier-peint « bibliothèque », en vogue dans les boutiques de décoration (songe d’ailleurs à m’acheter des rouleaux de papier-peint à effet « briques », pour transformer mon intérieur chargé en un simili loft new-yorkais) et illuminée d’une croix verte allumée de pharmacie, les livres c’est l’opium du peuple ? Bien vrai ça, d’ailleurs il paraît qu’on commence à prescrire des livres aux patients, mais de développement personnel seulement, pouah, Muriel Cerf me fait plus d’effet. On retiendra l’œuvre présentée dans le patio-véranda à côté du restaurant (et la décoration de celui-ci, colorée et attirante comme un présentoir de bonbons bollywood, mais de l’autre côté de la barrière, on n’y voit rien si on ne mange pas dans le saint des saints), c’est un relief mouvant de tubes de plastique gris coupés à différentes hauteurs, ça n’a l’air de rien dit comme ça mais bel effet bœuf. Rien de très psychotrope là dedans cependant, ou alors l’idée d’un sol sous nos pieds pas très stable, quand on s’adonne à la belladonne…

 

Des jolies pièces, des grands noms de l’histoire de l’art, tous intéressants séparément : une installation vidéo de Nam June Paik, sculpture de tête de Bouddha fichée sur une bande de sable ratissé très zen et filmée en direct et en miroir sur un moniteur vidéo en face, l'écran diffuse ce que la caméra enregistre, la boucle est sans fin ;  je ne manque pas d’y photographier sur l’écran mes chaussures et le bas de mon jean très élégants. Notion d'abolition du temps, contemplation infinie et stable du Soi, définissant l'Eveil, état même de la bouddhéité. 2013-03-07 18.07.04

Nam June Paik, né en 1932 à Séoul, Corée du Dud, décédé en 2006 à Miami, Floride

TV Buddha, 1997 (pierre, métal, caméra, moniteur)

 

2013-03-07 17.42.04

Jean-Michel Basquiat, né en 1960 à New York, décédé en 1998 à New York

Untitled, Paris, 1988 (peinture et collage sur papier)

 

Un beau Basquiat le camé jusqu’à l’os et ses sabots en bois graffités (les mêmes portés par l'acteur l'incarnant dans le film de Julian Schnabel, sorti en 1996, pour entamer "sa dernière descente aux enfers", de la Collection Lambert en Avignon. Le "radiant child" mort d'une overdose, n'ayant jamais suivi de cure de désintoxication, tentant de se libérer seul de l'accoutumance, en quittant NY pour HaÏti, comme il le fit 2 mois avant de mourir. Sur le tableau, des mots hollandais "wat voor) mêlés à des listes de morceaux de jazz enregistrés par Charlie Parker, des logos : Shell, Ideal ; des images extraites du Livre de la jungle de Disney. Vaste collage régi par le principe de répétition et de dislocation, à voir avec la "mécanisation du corps que représente l'usage de drogues dures". La force de Basquiat, sens saisissant de la couleur, usage particulier du langage, comme un moyen de s'approprier tous les registres de la culture, du panthéon du jazz aux grands textes de la Genèse et Moby Dick cité sur les sabots.

 

Même si truffée de jolies surprises et d’humour - il faut dédramatiser un sujet est grave mais finalement peu effleuré -, l’expo présente un assemblage somme toute artificiel, mais les paradis le sont bien aussi, artificiels. On reste un peu sur sa faim, d’ailleurs les comprimés non consommés par Sophie Calle, à l’instar de ses cadeaux d’anniversaire sont sagement restés sous verre, elle ne s’en est pas tant mis que ça dans le gosier, ni l’artiste qui a composé des chapelets et des colliers de cachets, laçages de perles colorées pris dans la résine, bien choisis pour illustrer l’affiche de l’exposition. Substances définitivement irrécupérables, recouvertes d'une résine qui les unifie, "bonbons visuels", c'est ainsi que l'artiste apppelle ses oeuvres. Marqué par la contre culture de la côte Ouest, l'artiste propose une utilisation originale de ces substances illicites, transformées en un système ornemental et figuratif complexe.2013-03-07 18.12.36

Fred Tomaselli, né en 1956 à Santa Monica, Etats-Unis, vit et travaille à New York

Gravity's rainbow small, 1998 (pilules, feuilles, photocopie, acrylique, résine sur bois, 61 x 61 cm)

 

L’espace est charmant, cette vieille maison aux briques apparentes et au petit pan de mur rouge, mais un peu exigü pour présenter toutes les œuvres sélectionnées. On imagine ce qu’aurait pu donner une telle exposition dans une grande institution publique, avec scénographie suggestive et panneaux et cartels explicatifs. Pourquoi pas un coffee shop au bout ou un bar à chicha, de la musique psychédélique à écouter avec casque infra-rouge ou dans des transats confortables, avec système audio, un odorama avec batonnets d’encens, et allez, des serveurs circulant avec des plateaux de coupes de champagne… Tiens, l’expo Miro pour le 30e anniversaire du Centre Pompidou, parcourue au bout de 5 ou 6 coupettes, et bien les formes circulaires et les flèches et les soleils tu les comprenais vachement bien, et Miro était-il accro aux substances, je n’en sais rien. Que dire de l’expo Dali, à voir avec un pétard et un verre dans le nez, ça doit dépoter, pas besoin de médiateur. Nan, je rigole, mille excuses, tout ça ne risque pas d’arriver. Enfin, pour Miro si, doux souvenir.

    Juste pour critiquer, parce que je ne suis jamais contente et atrabilaire proclamée, déplorer dans certaines pièces (grande salle du bas en particulier) l'accrochage un peu serré, qui fait paraître l'exposition pourtant très dense un peu vaine, même si sympathique. Plus embêtant, elle est à peine spectaculaire et encore moins visionnaire, et encore on ne recherchait pas particulièrement les éléphants roses (tiens, un extrait du « rêve de Dumbo » de Walt Disney eut été salutaire). Pourquoi pas d’extraits des grands films barrés, grande époque Ibiza, « More », à voir sur de confortables coussins ? Le manque d’espace, et de fonds publics sans doute. Restent des œuvres choisies, et elles seules. Pour en comprendre la genèse, prière de lire le livret, ou se pencher sur le catalogue, celui de l'expo et aussi celui du Bar Belge de l’avenue de Saint-Ouen, enfin sa carte, vive l'îvresse !

 

2013-03-07 18.07.54

  David Kramer, né en 1963 à New York, y vit et travaille

Indoor plumbing, 2010, détail de l'huile sur toile, sculpture sur socle

 

L'artiste américain fait siennes la société américaine et ses images, introspection sur ses fantasmes et ses ratages. Une fête au bord d'une piscine, belles filles en maillot, flirt sous une branche de palmier, couleurs acidulées très sixties. Son agréable de l'eau dispensé par une fontaine pour rendre plus suave la vision, mais le commentaire faisant partie intégrante du tableau (invisible sur ma photo) désavoue tout cela : "je dois remercier les drogues et l'alcool pourles meilleurs moments de ma vie", comment rendre sensible l'écart entre la représentation et la perception.

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  Ce post contient des citations tirées du catalogue de l'exposition, coédition la Maison Rouge-Fage éditions, 2013, sous la direction d'Antoine Perpère (chef de service en addictologie)

Publié dans dans l'art

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